Quelle efficacité du repérage précoce et de l'intervention brève auprès des patients suivis dans des structures de soins psychiatriques ?

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Le Repérage Précoce et l’Intervention Brève (RPIB) en Addictologie a pour objectif de réduire durablement les niveaux de consommation de substances afin de limiter les risques et les dommages liés aux consommations, de prévenir l’aggravation du Trouble lié à l’Usage de Substance (TUS) et de faciliter l’accès aux soins spécialisés. En 2018, parmi les 47,6 millions d’adultes souffrant de troubles psychiatriques aux USA, 9,2 millions présentaient au moins un trouble de l’usage de substances. La prévalence des alcoolisations ponctuelles importantes s’élevait à 31,3 % chez ces patients, alors qu’elle était de 25,3 % en population générale. De même, 36,7% des sujets souffrant d’un trouble psychiatrique avaient déclaré consommer des toxiques au cours des 12 derniers mois, contre 15,7 % en population générale. Chez les patients souffrant de troubles psychiatriques et présentant au moins un trouble de l’usage de substance associé, seulement la moitié d’entre eux (51,4 %) avait reçu des soins spécialisés, que ce soit en addictologie ou en psychiatrie, et 48,6 % d’entre eux n’avaient bénéficié d’aucune prise en charge.

Le RPIB a fait l’objet de nombreuses évaluations de son efficacité, notamment en soins primaires ainsi qu’auprès de patients consultant dans les services d’accueil des urgences. D’une manière générale, le RPIB a montré des bénéfices sur la réduction de la consommation d’alcool, plutôt chez les consommateurs à risques que chez ceux qui présentent une dépendance (Kaner, Cochrane 2018). Les données sont en revanche moins concluantes concernant les autres substances, ainsi que sur l’efficacité du RPIB dans l’amélioration de l’accès aux soins spécialisés des patients dépendants. Par ailleurs, peu d’études ont évalué l’efficacité du RPIB chez les patients souffrant de troubles psychiatriques. Une étude ayant inclus des patients hospitalisés en Psychiatrie a néanmoins suggéré des bénéfices potentiels sur l’amélioration de l’accès aux soins addictologiques de ces patients, notamment lorsqu’ils souffraient de schizophrénie ou de trouble bipolaire. Afin de mieux évaluer l’efficacité potentielle du RPIB auprès de ces patients particulièrement vulnérables aux conséquences des addictions, l’équipe américaine de Karno et al. a conduit un essai contrôlé randomisé multicentrique dans la région de Los Angeles.

L’étude de Karno et al. a été réalisée dans six services de Psychiatrie ambulatoire et un service de Psychiatrie hospitalière. Les critères d’inclusion étaient les suivants : être âgé de plus de 18 ans, avoir un diagnostic de trouble de l’humeur (trouble dépressif caractérisé, dysthymie, trouble bipolaire) ou de trouble psychotique (schizophrénie, trouble schizo-affectif ou trouble psychotique non spécifié) évalué à l’aide du Mini-International Neuropsychiatric Interview et présenter une consommation de cannabis ou de stimulants, et/ou un ou plusieurs jours d’alcoolisations ponctuelles importantes au cours des 90 derniers jours (plus de cinq unités d’alcool en une occasion pour les hommes ou quatre unités d’alcool pour les femmes). Les consommateurs d’opioïdes étaient éligibles à l’étude s’ils déclaraient également des alcoolisations ponctuelles importantes ou une consommation de cannabis ou de stimulants. Les patients récemment sans domicile fixes et ceux qui avaient bénéficié d’une prise en charge addictologique dans les 90 jours précédant l’inclusion étaient exclus. Suite à un tirage au sort, soit les participants bénéficiaient d’un RPIB suivant les recommandations américaines standards, soit ils étaient inclus dans un groupe contrôle pour y suivre une intervention non spécifique de psychoéducation.

Comparativement aux patients du groupe contrôle, les patients qui avaient bénéficié du RPIB avaient présenté moins de jours d’alcoolisations ponctuelles importantes dans les trois mois qui suivaient l’intervention (3,6 jours pour le groupe interventionnel contre 7,5 jours dans le groupe contrôle, Odd Ratio=0,53, IC 95% : 0,47-0,59). Les patients qui avaient bénéficié du RPIB avaient réduit leur consommation de psychostimulants dans les 3 mois qui suivaient l’intervention (5,8 jours pour le groupe interventionnel contre 9,8 jours, OR = 0,58, IC 95 % : 0,50-0,66). En revanche, aucune différence significative entre les deux groupes n’avait été mise en évidence concernant la consommation de cannabis. Des analyses complémentaires ont montré que les bénéfices de l’intervention sur la réduction de la fréquence des alcoolisations ponctuelles importantes persistaient à 6 mois (4,7 jours pour le groupe interventionnel contre 7,7 jours, OR=0,62, IC 95% : 0,55- 0,69). En revanche, il n’existait plus de différence significative entre les deux groupes à 12 mois de suivi. Les bénéfices de l’intervention sur la réduction de la consommation de stimulants persistaient à 6 mois (4,7 jours pour le groupe interventionnel contre 8,9 jours, OR=0,62, IC95 % : 0,55- 0,69), ainsi qu’à 12 mois (6,1 jours pour le groupe interventionnel contre 13,5 jours, OR=0,42, IC95% : 0,36-0,48). Enfin, il n’existait aucune différence entre les deux groupes concernant l’adhésion à des soins addictologiques (21,3% dans le groupe interventionnel à 30 jours, versus 24.3% dans le groupe contrôle). 

Les principaux résultats de cette étude multicentrique, randomisée et contrôlée, suggèrent que le RBIP réduit la fréquence des alcoolisations ponctuelles importantes chez les personnes souffrant de troubles psychiatriques, avec des bénéfices potentiels jusqu’à 6 mois après l’intervention. De plus, les bénéfices du RPIB seraient également notables sur la réduction de la fréquence d’utilisation de psychostimulants, et ce jusqu’à 12 mois après l’intervention. Des résultats comparables n’étaient en revanche pas observés en ce qui concerne la consommation de cannabis.

Il s’agit du plus grand essai évaluant les bénéfices du RPIB auprès d’une population de patients souffrant de troubles psychiatriques, avec un très bon taux de réponse et une durée de suivi d’un an. Les résultats de cette étude suggèrent que des actions de RPIB, notamment concernant l’usage d’alcool et de psychostimulants, auprès des patients souffrant de troubles psychiatriques, est faisable et présente des bénéfices importants sur la réduction durable de l’intensité des consommations.

 

Lisa Ferrand, Guillaume Airagnes.

 

Kaner, E. F., Beyer, F. R., Muirhead, C., Campbell, F., Pienaar, E. D., Bertholet, N., … & Burnand, B. (2018). Effectiveness of brief alcohol interventions in primary care populations. Cochrane database of systematic reviews, (2).

 

Karno, M. P., Rawson, R., Rogers, B., Spear, S., Grella, C., Mooney, L. J., … & Glasner, S. (2021). Effect of screening, brief intervention and referral to treatment for unhealthy alcohol and other drug use in mental health treatment settings: a randomized controlled trial. Addiction, 116(1), 159-169.

 

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