Quelles empreintes de la durée totale de consommation et du niveau moyen de consommation récente d’alcool sur le cerveau en IRM structurelle ? Une étude collaborative franco-belge parue dans Addiction Biology.

Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses études ont décrit les effets délétères de l’alcool sur le cerveau. Il s’agit d’études portant sur les performances cognitives, mais aussi d’études sur les aspects morphologiques (IRM structurelle classique, ou imagerie par tenseur de diffusion pour voir les fibres de matière blanche) ou sur le fonctionnement immédiat du cerveau (IRM fonctionnelle notamment).

Alcool

En IRM structurale, de nombreuses zones cérébrales sont touchées par l’alcool chez les sujets avec trouble d’usage de l’alcool (TUAL). Comparés à des sujets contrôle, les sujets avec TUAL présentent un élargissement global des ventricules, ainsi qu’une réduction globale de matière grise, prédominant au niveau des aires impliquées dans la récompense, comme le cortex préfrontal, l’insula antérieure, le nucleus accumbens, et l’amygdale.

Mais jusqu’ici, la plupart des études ont porté sur la comparaison entre sujets avec TUAL et sujets contrôle, sans explorer plus précisément l’hétérogénéité des sujets TUAL entre eux. Plus particulièrement, ni les effets spécifiques de la durée totale de consommation d’alcool (effets de toxicité « cumulée »), ni les effets spécifiques de la consommation actuelle d’alcool (effets de toxicité « immédiate ») n’avaient jamais été étudiés au sein des sujets avec TUAL. C’est ce que nous avons fait dans cette étude parue dans Addiction Biology.

Il s’agissait d’une étude collaborative entre le Service Universitaire d’Addictologie de Lyon (SUAL), et l’université catholique de Louvain (UCL) et les Cliniques Universitaires Saint Luc à Bruxelles, à partir de données IRM belges. Nous avons d’abord comparé les données morphologiques de 44 contrôles et 66 sujets avec TUAL recrutés en fin de sevrage hospitalier. Cette comparaison entre contrôles et sujets TUAL visait d’abord à reproduire les données déjà connues sur les différences entre TUAL et population générale, afin de montrer que les données produites étaient de bonne qualité. Ensuite, l’utilisation de données contrôles permet de calibrer le rapport entre la taille des structures cérébrales et la taille du crâne dans les analyses ultérieures.

L’originalité de l’étude, et son objectif principal, était de regarder, au sein des 66 sujets avec TUAL, quelles étaient les zones significativement impactées par la durée totale de forte consommation d’alcool d’une part, et par le niveau moyen de consommation d’alcool avant sevrage d’autre part, c.à.d. par un paramètre de toxicité « cumulée » d’une part, et de toxicité « immédiate » d’autre part. Pour avoir le maximum de rigueur, les analyses de surface ont porté à la fois sur l’épaisseur corticale et sur le volume de matière grise pour chaque zone étudiée. Les détails techniques de ces analyses sont décrits dans la publication.

Principalement, nous avons retrouvé que la consommation actuelle d’alcool était inversement corrélée avec une bande bilatérale située sur la partie externe et plutôt arrière des lobes temporaux (voir figure). La durée totale de fortes consommations était pour sa part associée avec une zone temporale légèrement antérieure par rapport à la précédente, et située uniquement à gauche.

Au final, nous avons retrouvé que la toxicité immédiate de l’alcool semble laisser davantage de « marques » sur le cerveau que la toxicité cumulée, ce qui est cohérent avec les résultats des études neuropsychologiques. Le lobe temporal, très impliqué dans les processus mnésiques et affectifs, semble être la principale cible des deux paramètres étudiés de toxicité, ce qui est également cohérent avec les études cognitives notamment. Notre étude avait un certain nombre de limites, notamment le fait que les IRM étaient réalisées de manière transversale, c.à.d. non répétées dans le temps, ce qui ne permettait pas de visualiser les aspects dynamiques de récupération du cerveau après l’arrêt de l’alcool.

Cette étude ouvre la voie à une approche « personnalisée » de la recherche sur les effets de l’alcool sur le cerveau et les fonctions cognitives, ce qui permettra de mieux comprendre pourquoi les atteintes cérébrales sont variables en fonction des niveaux de consommation d’alcool immédiats et cumulés, mais aussi en fonction de particularités biologiques de chaque patient.

Cette étude a été en partie financée grâce à une bourse 2016 du Fond Actions-Addictions.    

 

Benjamin ROLLAND

Service Universitaire d’Addictologie de Lyon

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