Vape et sevrage tabagique : fake news en série

Un article de Philippe Arvers paru dans The Conversation

Tabac

Il ne se passe pas une semaine sans que les médias, bien souvent sans vérifier leurs sources, nous abreuvent de nouvelles alarmistes sur la « vape » – j’emploie ce terme, plutôt que « cigarette électronique » ou « eCigarette », car il n’y a pas de combustion, donc pas de fumée, mais un dégagement de vapeur d’eau. Or ces nouvelles à charge, dénoncées par les tabacologues, entretiennent un climat de défiance et une peur d’utiliser la « vape ». Fin 2019, le Dr Marion Adler (Hôpital Antoine Béclère de Clamart–APHP) s’est ainsi alarmée du fait que bon nombre d’ex-fumeurs devenus « vapoteurs » délaissent la vape pour se remettre au tabac 100 % toxique et mortel, suite à ces rumeurs sans fondements.

En cette période de confinement liée au Covid-19, beaucoup de désinformation sur la vape et le risque de transmission du virus.

# Fake news n°1 : L’usage de la vape, occasionnel ou régulier, est associé à un risque accru d’infarctus du myocarde

En juin 2019, Stanton Glantz (professeur de médecine et directeur du Center for Tobacco Control Research and Education, Université de San Francisco, Californie) et Dharma Bhatta (épidémiologiste et chercheur en santé publique au Center for Tobacco Control Research and Education) publiaient un article dans le journal de l’American Heart Association (JAHA), affirmant que la vape double le risque de faire une crise cardiaque. Leur analyse s’appuyait sur les données de l’étude de cohorte PATH (Population Assessment of Tobacco and Health survey), qui porte sur plus de 32 000 américains suivis entre 2013 et 2014. Mais dès 14 août 2019, Clive Bates (spécialiste en santé publique et ancien directeur de l’association de lutte contre le tabac ASH) dénonçait sur son blog la méthodologie et les résultats de cette étude.

De fait, Brad Rodu (professeur de médecine à l’université de Louisville, aux USA) et Nantaporn Plurphanswat (chercheuse en économie de la santé à l’université de Louisville), avaient déjà publié en 2018 sur l’étude PATH, et montré que la majorité des patients avaient fait leur infarctus avant de se mettre à la vape (en moyenne, 10 ans plus tôt). Or Glantz et Bhatta ayant omis de le préciser, Rodu et Plurphanswat avaient contacté une première fois le 11 juillet 2019 les éditeurs du JAHA en les informant que les conclusions de leurs collègues étaient fausses, et en leur demandant que la publication soit retirée.

La réponse se fit attendre. Alors le 18 juillet 2019 les deux chercheurs adressèrent à JAHA un second courrier pour expliquer que Glantz et Bhatta « savaient que l’infarctus était antérieur au recours à la vape ». Puis faute de retour, le 20 janvier 2020, une troisième lettre fut envoyée aux éditeurs, cette fois signée par 20 personnalités, dont le Pr Peter Hajek, le Pr Ann McNeill et le Dr Konstantinos Farsalinos.

Cette fois, une réponse finit par arriver, le 18 février 2020, avec le retrait de la publication. Mais ce retrait aura pris six mois, pendant lesquels de très nombreux ex-fumeurs auront renoncé à la vape.

AHA retracted. AHA

Sur son blog, le Pr Brad Rodu détaille par ailleurs les fonds reçus par le Pr Stanton Glantz pour cette étude : 13,6 millions de dollars. Et l’on peut légitimement se demander s’il ne doit restituer cette somme, après avoir falsifié les résultats qu’il a publiés. D’autant qu’il n’en est pas à son coup d’essai : en 2018, déjà, dans une étude publiée dans l’American Journal of Preventive Medicine et portant sur des données des National Health Interview Surveys de 2014 et 2016, il concluait que le recours à la vape quotidienne augmentait le risque d’infarctus du myocarde.

# Fake news n°2 : Une épidémie de pneumopathies aux USA chez les utilisateurs de la vape

Le 7 septembre 2019, le magazine Le Point titrait l’un de ses articles : « Cigarette électronique : une maladie inquiétante tue cinq personnes aux États-Unis ». Le texte s’inspirait d’une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) ayant pris ses sources auprès du CDC (Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, agence fédérale américaine), lequel avait mis en ligne sur son site un communiqué (Rapport hebdomadaire Morbidité et Mortalité) sur « la survenue de pneumopathies lipidiques aiguës liées à la cigarette électronique en Caroline du Nord, en juillet-août 2019 ».

Plus de 200 cas – hospitalisés et guéris après un traitement médical adapté – avaient alors été recensés dans 25 états américains, dont 5 en Caroline du Nord. Mais leur origine réelle, bien qu’étant identifiée, n’avait pas été prise en compte clairement par le CDC : il s’agissait de THC (huile, en particulier) et d’acétate de Vitamine E présent dans les eLiquides de contrefaçon achetés dans la rue ou sur Internet. Pourtant, dès le mois d’août 2019, des chercheurs du Centre Wadsworth (Albany – état de New-York) avaient analysé 38 échantillons et alerté les autorités sanitaires (CDC, FDA et autorités locales) sur la présence de l’acétate de Vitamine E, cause de ces pneumonies lipidiques.

En France, une alerte « DGS-urgent » fut lancée le 8 octobre 2019, et relayée le 8 du mois par le journaliste Jean‑Yves Nau sur son blog. Mais contrairement aux États-Unis, ou le suivi sanitaire des cas de pneumopathies sévères chez des vapoteurs a été déclenché (au 10 janvier 2019, 1 080 cas, dont 18 décès), aucune épidémie n’a été détectée à ce jour dans notre pays.

À ce propos, soulignons qu’en lien avec Santé publique France, les agences sanitaires, les partenaires du réseau de prévention des addictions et les sociétés savantes de médecine d’urgence, de réanimation et de pneumologie, le Ministère des Solidarités et de la Santé a mis en place un dispositif de signalement et d’investigation des cas de pneumopathies sévères chez des utilisateurs de dispositifs de vapotage. Les médecins peuvent effectuer le signalement sur le portail dédié, dans la rubrique « Effet sanitaire indésirable suspecté d’être lié à des produits de consommation » (sous l’intitulé « vapotage & pneumopathie »).

Ajoutons par ailleurs que chacun peut consulter les informations actualisées de l’alerte américaine sur le site du CDC. Enfin, le dispositif de surveillance active des pneumopathies sévères en lien avec le vapotage est détaillé sur le site de Santé Publique France. Et les modalités de signalement de tout autre effet inhabituel, en lien avec le vapotage, restent identiques (via les rubriques de toxicovigilance ou d’addictovigilance selon les produits consommés ou suspectés).

Au final, il aura fallu attendre le 16 octobre pour que la Société francophone de tabacologie (SFT) fasse un premier communiqué de presse, et le 1er novembre pour que la SFT produise un second communiqué avec la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF) sur la place de la cigarette électronique dans le sevrage tabagique. Et force est de constater que les alertes américaines se sont produites alors même que le marché la vape est en plein essor, quand le BigTobacco, ou industrie du tabac, fait face depuis trois ans à un déclin mondial : British American Tobacco (BAT) a ainsi annoncé en septembre la suppression de 2 300 emplois dans le monde, et chez Philip Morris International (PMI), les bénéfices ont diminué de 16 % au 3e trimestre 2019.

# Fake news n°3 : La vape, porte d’entrée dans le tabagisme

Voilà longtemps qu’on entend parler d’une passerelle entre la vape et le tabac, bien que les études scientifiques démontrent le contraire, avec force données épidémiologiques – j’avais déjà évoqué le sujet dans The Conversation en 2017. Or aux États-Unis, le succès rencontré par la Juul ces deux dernières années, auprès des jeunes en particulier, a renforcé la diabolisation de la vape.

Rappelons que la Juul est un vaporisateur de sels de nicotine (de l’acide benzoïque est ajouté à la nicotine-base, permettant un ressenti au plus proche des sensations induites par la consommation d’une cigarette traditionnelle) avec des recharges (Juulpods) et fortement dosé (59 mg/ml) au design très attractif dont les ventes se sont envolées en 2017 et 2018, en dépit d’un prix élevé. Et comme le souligne une étude britannique publiée en janvier dernier dans Addiction, les taux de nicotine mesurés dans le sang après une bouffée de Juul sont similaires à ceux atteints avec du tabac, et supérieurs à ceux des vapes classiques.

Le dosage de la Juul est néanmoins interdit en Europe, où le taux de nicotine ne peut pas dépasser 19,9 mg/ml. Quant aux autres cigarettes électroniques, il semble bien que leur usage tende à se dissocier du tabagisme, si l’on en croit un rapport de l’Observatoire français des drogues et tocicomanies (OFDT) publié en février) dernier. On y apprend que l’expérimentation de la cigarette électronique « s’est accrue chez les lycéens de 17 points par rapport à 2015 », mais aussi que son « usage au cours du mois chez ces derniers est passé de 10,0 % à 16,6 % en trois ans ». « De la même manière, 5,6 % des lycéens déclarent avoir fumé exclusivement une cigarette électronique au cours du mois (7,0 % des garçons vs 4,2 % des filles), contre 2,7 % trois ans auparavant, poursuit le rapport, en ajoutant que ces résultats « laissent entendre que la pratique de la cigarette électronique tendrait, aujourd’hui, à se dissocier de plus en plus de l’usage de tabac en population adolescente ».

Un article de Médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes pour le site The Conversation.

 

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