Vers une acceptation sociale croissante des comportements de non-usage d’alcool ?

Deux articles de débats parus dans Addiction.

Alcool
Dans Addiction, deux articles d’opinion publiés avant les fêtes se penchent sur la question des personnes qui font le choix de ne jamais boire d’alcool. Cette population évolue sur le plan épidémiologique. Ainsi, un premier article (1) suggère qu’on assiste à une dénormalisation relative de la consommation d’alcool, et une normalisation relative de la non-consommation d’alcool. Selon les auteurs, l’abstinence commence à être perçue socialement comme un choix acceptable. Jusqu’à présent, comme le souligne la chercheuse en santé publique norvégienne Ingeborg Rossow (2), les non-buveurs d’alcool constituaient des sous-populations marginalisées, qui avaient un réseau social plus limité, et une santé mentale de plus mauvaise qualité. Les raisons de cela étaient multiples, à la fois socioculturelles et médicales (les personnes qui ne buvaient pas étaient alors souvent celles ayant des problèmes de santé contre-indiquant l’usage d’alcool). De ce phénomène est né la fameuse courbe en J, où les non-buveurs d’alcool avaient toujours une morbi-mortalité plus élevée que les faibles buveurs. Aujourd’hui, le phénomène de non-usage d’alcool concerne des publics nouveaux, en particulier des populations jeunes, qui n’ont pas forcément un niveau socioéconomique bas, au contraire. Pour ces publics, l’usage d’alcool est assimilé à un mauvais comportement de santé, comme le fait de manger trop souvent de la viande ou de ne pas faire assez d’exercice. Le choix de ne jamais boire est donc un acte de santé, parmi de nombreux autres. Cette recherche de comportements de santé « optimisés » s’est développée dans les jeunes générations et constitue désormais une forme de norme propre à certains groupes de cet âge. Il s’agit ici d’une forme de choix de comportements un peu similaire à ceux promus au cours du Dry January, mais maintenu dans le temps. Au départ issu des pays anglo-saxons, en particulier le Royaume-Uni et le Canada, ce phénomène se voit aussi en France, pays pourtant solidement attaché à une culture de la consommation d’alcool. Il n’est pas rare de croiser, en particulier chez les moins de 30 ans, des personnes qui ne boivent pas d’alcool en soirée. Pour autant, le non-usage d’alcool reste à l’évidence encore parfois un peu difficile à assumer auprès des autres, en particulier dans les contextes sociaux de consommation. Essuyer la réprobation réelle ou perçue d’autrui lorsqu’on refuse un verre d’alcool ou que l’on explique avoir arrêté sa consommation pour un temps a d’ailleurs été rapporté comme un frein au maintien de ce comportement (3). Il est possible que la décision de non-usage soit mieux comprise dans les milieux socioéconomiques plus élevés dans lesquels les impacts négatifs de l’alcool sur la santé sont mieux connus, et qu’elle soit plus facilement acceptée, facilitant ainsi son maintien et sa diffusion. Il est difficile de savoir si ce type d’attitudes est une mode, ou va constituer un changement radical de rapport à l’alcool dans au moins une partie des plus jeunes générations. Il est donc possible que ces générations finissent par reprendre un rapport plus traditionnel à l’alcool, avec des consommations plus ou moins occasionnelles, voire même des fortes consommations plus ou moins occasionnelles. Néanmoins, les industriels ont saisi ce changement, possiblement avant même les épidémiologistes, et offrent de plus en plus de boissons alternatives à l’alcool, pour les soirées et rencontres sociales. C’est peut-être le signe que le changement, sans être radical au point de toucher toute une génération, ne sera ni éphémère, ni marginal. (1) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/add.15611 (2) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/add.15763 (3) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/hpja.22   Par Benjamin Rolland et Julia de Ternay