Le jeu d’argent pathologique est un trouble qui s’installe progressivement, et les problèmes de jeu ne surviennent en général pas immédiatement. Au début, la pratique du jeu est le plus souvent réalisée pour rechercher du plaisir, des sensations fortes, sans espoir de gain irrationnel. On parle de « lune de miel ». Lorsque des pertes ont lieu, elles sont acceptées, dans le cadre d’un budget dévolu aux loisirs. Le jeu peut aussi permettre d’échapper à une situation compliquée, à des émotions désagréables, mais il reste majoritairement source de gratifications, en particulier lors de gains, mais aussi tout simplement par plaisir de jouer.
Les gratifications ressenties en jouant trouvent leur origine dans ce qu’on appelle le circuit de la récompense. Ce circuit est un réseau cérébral qui fournit la motivation indispensable à la réalisation de comportements nécessaires à la survie de l’individu ou de l’espèce (, recherche de nourriture, reproduction, évitement des dangers, prise de risques…). C’est ce circuit qui est responsable du plaisir provoqué par des « récompenses » (par exemple, trouver de la nourriture), ou à l’inverse, du déplaisir induit par des « punitions » (par exemple, manger de la nourriture avariée). Par effet d’apprentissage, le cerveau apprend ainsi ce qui est source de plaisir ou de déplaisir, et acquiert donc la motivation nécessaire à rechercher ces récompenses ou à éviter ces punitions. Si certaines substances psychotropes (nicotine, alcool, cannabis, cocaïne, opiacés….) ont la capacité à activer plus ou moins directement ce circuit lorsqu’elles sont consommées, en agissant directement sur les récepteurs cérébraux, la pratique des jeux d’argent et de hasard a également la capacité à activer le circuit de la récompense (pour une synthèse des dysfonctionnements du système de récompense et des biais cognitifs chez les joueurs pathologiques en français : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0001407921002053), et à devenir une source de plaisir, au même titre que nos besoins primaires.
Petit à petit, lorsque les habitudes de jeu s’installent, le joueur peut développer de fausses croyances, qui l’amènent par exemple à penser qu’il peut contrôler l’issue du jeu par des prédictions dans des jeux pourtant déterminés par le hasard, à se convaincre qu’il est plus habile dans le jeu qu’en réalité, ou encore à attribuer les pertes à des facteurs extérieurs à lui-même tandis qu’il attribue les gains à sa propre habileté. Au fur et à mesure des expériences de jeu, il peut aussi s’installer des associations fortes entre la présence de certains déclencheurs de l’envie de jouer (internes, comme une sensation de mal-être, ou externes, comme une publicité pour un jeu par exemple), la réalisation du comportement de jeu en lui-même, et la sensation de soulagement qu’il peut procurer. Le joueur « apprend » alors petit à petit que le jeu est une, voire la seule, réponse possible pour faire face aux difficultés qu’il rencontre. Les pertes peuvent s’accumuler progressivement, et le joueur se tourne alors vers le jeu pour essayer de recouvrer ses pertes, de « se refaire ». Le jeu est alors vu comme la cause et la solution aux problèmes financiers. L’humeur du joueur devient conditionnée par le jeu : il est euphorique quand il gagne, il peut devenir abattu, déprimé et anxieux quand il perd. Par exposition répétée à la stimulation du jeu, l’équilibre fragile du circuit de la récompense dysfonctionne de manière chronique, poussant le joueur excessif à rechercher sa « dose » de jeu. La compensation des émotions négatives prend petit à petit le pas sur la gratification par les émotions positives et le joueur a de plus en plus de mal à réguler sa pratique, à refreiner ses envies de jeu, ou à ne pas jouer de façon automatique en réponse aux déclencheurs. Il perd alors le contrôle.
La perte de contrôle est un moment clé de la bascule vers une conduite addictive : la personne souhaite limiter ou arrêter son comportement, mais elle n’y parvient plus. Son incapacité perçue à se réguler peut aussi venir renforcer les émotions négatives (culpabilité, honte, baisse de l’estime de soi) et déclencher à nouveau des envies de jouer. Quand l’addiction s’installe, les préoccupations autour du comportement sont de plus en plus envahissantes (pensées, mais aussi temps passer à jouer). Plus l’addiction s’installe, plus la personne aura besoin de jouer davantage (miser plus, jouer plus longtemps) pour réussir à trouver du plaisir (phénomène de tolérance). Les signes de manque (sevrage) qui peuvent survenir quand le comportement a été réduit ou arrêté (irritabilité, agitation) plongent la personne dans l’inconfort. Le « craving » (envie irrépressible d’effectuer le comportement) est de plus en plus envahissant et peut précipiter la personne dans la rechute. Le jeu finit par prendre toute la place dans la vie de la personne. Les conséquences négatives, qui peuvent apparaître assez tôt dans le parcours du joueur, peuvent être particulièrement importantes à cette étape, impactant à la fois le joueur lui-même, mais aussi son entourage. C’est généralement à ce moment-là, lorsque les dommages sont importants et visibles, que l’entourage commence à s’inquiéter pour le joueur. Le joueur peut alors être dans le déni de son comportement, nier ce qui parait être une évidence, et il tente de dissimuler l’ampleur de ses problèmes de jeu. Il peut mentir pour cacher ses activités de jeu ou ses dettes. Il peut alors s’exposer à un surendettement important, s’il souscrit à des crédits à la consommation pour compenser ses pertes par exemple. Parfois, il peut même être amené à réaliser des actes délictueux pour se procurer de l’argent afin de continuer à jouer : le jeu n’est plus une envie mais un besoin. Lorsque les conséquences négatives sont trop importantes, que l’entourage a parfois pris de la distance pour se protéger, que le désespoir et l’isolement s’installent, le joueur peut sombrer dans un état suicidaire (plus de 40% des joueurs qui consultent présentent un risque suicidaire). Mais paradoxalement, c’est souvent ce moment très critique du parcours, où le joueur « touche le fond », qui lui permet de prendre conscience de sa pathologie, et de demander de l’aide (à des proches, à un professionnel de soins…) afin de se sortir de ce cercle vicieux de l’addiction. La prise de conscience est capitale, et bien que les rechutes soient fréquentes, l’engagement dans une démarche de changement peut signer un premier pas vers le rétablissement.
Longtemps considéré comme un vice, le jeu d’argent pathologique (autre terme qui désigne le diagnostic d’un trouble lié aux jeux d’argent et de hasard réalisé par un professionnel de santé) est aujourd’hui intégré dans les classifications internationales des troubles mentaux comme une pathologie à part entière, et classé parmi les troubles addictifs en raison de points communs avec l’addiction à l’alcool ou aux autres substances. Le manuel diagnostique des troubles mentaux (DSM-5) définit le jeu d’argent pathologique comme « une pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu d’argent, conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement significative ». La définition du trouble est donc basée non pas uniquement sur des symptômes ou des comportements en lien avec le jeu, mais aussi sur la souffrance importante et invalidante qui est ressentie. La présence de cette souffrance ou altération du fonctionnement cliniquement significative est notamment ce qui distingue un engagement fort dans le jeu (qui n’est pas forcément de nature addictive) d’un véritable trouble addictif (une maladie).
Aller plus loin sur l’espace Jeux d’argent et de hasard
Informations, parcours d’évaluations, bonnes pratiques, FAQ, annuaires, ressources, actualités...
Découvrir