Inde – Accessibilité au tabac et aux cigarettes sans fumée : la situation s’est aggravée depuis le nouveau système de taxation sur les biens et les services.

Une étude publiée dans Tobacco Control.

Tabac

En Inde, les principaux produits du tabac sont les bidis, les cigarettes et le tabac sans fumée (smokeless tobacco).

Selon l’OMS, l’Inde est le deuxième plus grand consommateur au monde de produits du tabac, qui y tue près de 900 000 personnes chaque année. Près de 275 millions d’Indiens de plus de 15 ans, soit 35 % de sa population adulte, en consomment. De plus, et toujours selon l’OMS, l’Inde est également le troisième producteur mondial de tabac. On dénombre chaque année plus de 1,3 millions de morts dues au tabac, soit près de 3 500 par jour.

Les bidis (1) sont des cigarettes qui sont très répandues en Asie et au Moyen-Orient, et qui ont la particularité d’être aromatisées au chocolat ou aux fruits. Le tabac est roulé dans des feuilles sèches de tendu ou kendu de couleur sépia, un arbuste tropical qui pousse naturellement dans les forêts indiennes. C’est le produit du tabac fumé le plus populaire, utilisé par plus de 72 millions d’indiens.

Le tabac sans fumée est très répandu en Inde, mâché ou prisé principalement : paan, paan masala, khaini, zarda et gutka sont les dénominations principales de ces produits qui représentent 50% de la consommation de tabac en Inde.

Jusqu’en juillet 2017, chaque état indien, voire certaines régions appliquaient chacun leur propre système de taxes aux mêmes produits et services. Ainsi, les taxes sur les produits du tabac augmentaient chaque année de manière régulière ; par exemple, pour la marque de cigarette la plus vendue, cette taxe pouvait augmenter de 10% ou plus chaque année.

Cependant, les bidis étaient peu taxés comme le précisaient Rijo et al. (2) dans un rapport écrit en 2010. L’augmentation annuelle du prix ne suffisait pas à compenser l’inflation et l’augmentation des revenus individuels.

Des pays comme l’Ukraine et les Philippines, qui ont augmenté de manière substantielle et répétée les taxes sur les cigarettes et réduit de manière significative l’accessibilité aux cigarettes ont constaté une réduction de la consommation durable (3, 4).

En France, seules des augmentations importantes et répétées dans le temps ont entraîné une réduction de la consommation de tabac (1), et Addict’Aide en a parlé à de nombreuses reprises. « L’augmentation significative des prix des produits du tabac est considérée comme la mesure la plus efficace et la moins coûteuse pour lutter contre le tabagisme, notamment chez les jeunes qui présentent la plus grande sensibilité aux variations de prix. Depuis 2005, le prix du tabac n’avait pas connu d’importantes augmentations et le tabagisme a progressé. Depuis 2012, une politique d’augmentation des prix a été entamée. » pouvait-on lire dans le Plan Cancer 2014-2019. En 2020, le prix du paquet de cigarettes atteint 10 euros, et la consommation de tabac continue à baisser (avant le confinement actuel).

Le 1er juillet 2017 est entrée en vigueur la taxe sur les biens et services (Goods and Services Tax, GST), une TVA uniforme qui fait désormais de l’Inde et des vingt-neuf Etats qui la composent un marché unique, soixante-dix ans après l’indépendance. Cette GST repose sur un impôt unique et quatre taux d’imposition différents (5%, 12%, 18% et 28%) qui sont encaissés par le gouvernement central et ceux des États. Tout comme l’alcool, le tabac a été taxé à 28%, le taux le plus élevé.

Rijo John et Estelle Dauchy ont comparé les ventes de tabac en Inde entre 2007-2008 et 2018-2019, avant et après la mise en place du nouveau système de taxation (GST).

Ils ont pris en compte les prix de vente au détail (à partir des données transmises par le Ministère du Travail et de l’Emploi) des cigarettes, des bidis et du tabac sans fumée, ainsi que le produit intérieur brut par habitant (transmis par la Reserve Bank of India, la banque centrale de l’Inde). Ils ont alors calculé le pourcentage du revenu individuel nécessaire pour acheter 100 cigarettes ou bidis, ou 100 grammes de tabac sans fumée (le « Relative income price » ou RIP). C’est cet indice, le RIP, qu’ils ont utilisé pour mesurer l’accessibilité aux produits du tabac, et les changements observés dans cette accessibilité ont été décomposés pour dissocier les changements de revenu individuel des augmentations de prix.

Les auteurs ont constaté que l’accessibilité aux produits du tabac a augmenté en 2 ans, objectivée par une diminution de l’indice RIP :

  • pour les bidis, l’accessibilité a augmenté de 2,2%,
  • pour les cigarettes, l’accessibilité a augmenté de 3,4%, et
  • pour le tabac sans fumée, l’accessibilité a augmenté de 8,5%.

Les bidis sont 9 fois plus accessibles que les cigarettes, alors qu’ils sont aussi toxiques.

Le nouveau système de taxation (GST) a accentué l’augmentation de l’accessibilité des cigarettes et du tabac non fumé, et n’a pas modifié la grande accessibilité aux bidis.

En général, dans les états ayant des taux de taxes élevés (bas) avant la mise en place du nouveau système de taxation (GST), on a pu observer une augmentation (diminution) de l’accessibilité aux produits du tabac après le GST.

Les bidis continuent à être très accessibles, alors que l’accessibilité aux cigarettes et au tabac non fumé augmente principalement en raison de l’absence d’augmentation des taxes après le GST et de l’augmentation du revenu individuel. Pour réduire l’accessibilité de manière efficace, une augmentation significative des taxes d’accise et/ou de la taxe de compensation— une taxe exceptionnelle destiné à compenser certains Etats de la perte de recettes fiscales, applicables à certains biens particuliers (principalement le tabac et ses produits dérivés) sont requises. La taxe de compensation devrait aussi être appliquée aux bidis pour répondre à ce grand problème de l’usage du tabac en Inde. Telles sont les conclusions des auteurs de cette étude, dans un pays de 1,3 milliards d’habitants.

 

Par ailleurs, l’Inde a interdit la vape en 2019, pourtant utile dans le cadre du sevrage tabagique et de la réduction des risques en santé.

 

Références bibliographiques

1 Arvers P, Mathern G, Dautzenberg B. Les anciens et nouveaux produits du tabac. Revue de Pneumologie Clinique 2018 ; 74(3) : 145-153.

2 John RM, Rao RK, Rao MG, Moore J, Deshpande RS, Sengupta J, Selvaraj S, Chaloupka FJ, Jha P. The Economics of Tobacco and Tobacco Taxation in India. . Paris: International Union Against Tuberculosis and Lung Disease; 2010.

3 Mirza M. Large Tax increases are the most effective policy for reducing tobacco use, 2019. Available:

4 Perez-Warnisher MT, Carballosa de Miguel M, Seijo LM. Tobacco Use Worldwide: Legislative Efforts to Curb Consumption. Annals of Global Health 2019, 85(1), p.9. DOI: http://doi.org/10.5334/aogh.2417

 

Philippe Arvers

1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)

2 – 7ème Centre Médical des Armées (Antennes de Varces et Chambéry)

3 – Institut Rhône Alpes Auvergne de Tabacologie (Lyon)

 

 

 

Consulter en ligne