Il faut moins d’une centaine de pages à ce spécialiste de l’économie des drogues pour nous dresser la situation, où nous en sommes avec les drogues, nous citoyens d’un état qui ne sait jamais trop par quel bout affronter la problématique et reprendre la main sur des niveaux de consommations qui se sont inscrits durablement dans le paysage et qui mériteraient que l’on prenne les problèmes, quand il y en a, à bras-le-corps et sans idéologie mal placée. Le pragmatisme devrait être de rigueur, comme il l’est déjà dans toutes les structures, organisations et mouvements qui accompagnent une politique de réduction des risques et des dommages qui s’est elle aussi durablement inscrite dans le champ des addictions… Christian Ben Lakhdar nous présente cette “société psychoactive“, comme il l’appelle, inhérente à toute société dite “addictogène“, c’est-à-dire à toute société qui pousse chacun d’entre nous à toujours aller plus vite, plus loin, plus haut, à toujours aller bien ou mieux, et donc à mettre à disposition tous les outils nécessaires pour atteindre nos objectifs, outils auxquels on peut vite être accroché. Les produits psychoactifs, mais aussi certains comportements compulsifs qui jouent sur les mêmes mécanismes cérébraux que les drogues, sont alors au rendez-vous pour accompagner ce désir de bien-être… On a vite fait alors de vouloir tout faire basculer dans le champ des addictions, où tout est drogue, comme le dit l’auteur, sans l’être vraiment…
La question de l‘intervention de l’état et des acteurs socio-sanitaires dans cette profusion de produits et des usages qui les accompagnent se pose alors. A partir du moment où la légitimité des consommations s’impose naturellement, la question de la liberté d’usage pointe le bout de son nez. Les pouvoirs publics, toujours prêts à légiférer pour ne pas perdre le contrôle ou pour répondre aux attentes d’une partie de la population, se questionnent depuis la nuit des temps. Faut-il interdire ou pas, mais si oui, pourquoi ? Faut-il réguler, mais si oui, comment ? Ou poser la limite ? Quels sont les produits à bannir ? Quels sont ceux qui méritent notre indulgence ? Pour répondre à ces questions-là, on comptabilise, on analyse, on évalue, on commande des rapports, dont on ne tient pas toujours compte, on se laisse plus ou moins influencer par les lobbies, on écoute plus ou moins les acteurs de terrain, et enfin on prend des décisions ou l’on fait l’autruche, sans trop savoir où ça nous conduira…
Du côté de l’accompagnement des usagers, et donc des usages, on fait avec les moyens du bord, sans jugement de valeur sur les bonnes ou mauvaises raisons de consommer, sur l’illégalité ou pas d’un produit, sans opposer les usagers les uns aux autres, on tente simplement de réduire au mieux les risques et les dommages, d’éviter qu’un usage ne devienne problématique et que l’on tende vers l’addiction qui a trouvé sa science, depuis peu finalement, à savoir l’addictologie… Cette réduction des risques et des dommages, l’état d’esprit qui l’accompagne, et les actions menées sur le terrain, ont bien été intégrées par les pouvoirs publics, et ne sont plus remises en cause désormais. Elles exigent simplement que les moyens mis à disposition soient à la hauteur des enjeux… Malgré l’opposition de certains riverains, les deux salles de consommation à moindre risque qui ont ouvert à Strasbourg et Paris, n’ont pas soulevé de tollé dans la population générale ou dans la classe politique. Ce qui signifie, soit que ce sujet n’intéresse pas grand monde, soit que la réduction des risques et des dommages est bel et bien acceptée désormais et que l’on veut bien admettre que l’usage de certaines drogues, pourtant souvent vilipendées, serait acceptable tant qu’on en limite l’impact négatif sur les individus, et la société par la même occasion. C’est déjà un sacré pas en avant…
Mais peut-être alors que ce nouveau paradigme qui ne pose pas la prohibition comme une évidence incontournable, échange l’interdit pur et simple contre une vigilance nécessaire, et impose l’usager comme citoyen responsable de ses choix, a de beaux jours devant lui… De nouvelles politiques sont alors à inventer dans ce monde d’après qui pousse depuis bien longtemps, et n’a pas attendu la Covid 19 pour faire parler de lui. Christian Ben Lakhdar propose alors de réfléchir en France à de nouveaux modèles de régulation, à de nouvelles législations pour que le marché n’échappe pas à l’état, comme c’est le cas à présent, et donc aux citoyens de cet état dont la liberté d’usage doit être protégée et accompagnée par des mesures sanitaires et sociales pertinentes, et non pas verrouillée…