Il n’y a rien de surprenant à ce que La Linea de la Concepción, petite ville côtière du sud de l’Espagne, dans la zone du détroit de Gibraltar, soit parfois appelée, même si l’on peut le regretter, la “Medellin espagnole“. La ville semble abandonnée des pouvoirs publics nationaux et sous l’emprise d’un narcotrafic incarné ici par les frères Castana qui réceptionnent, entre autres, les tonnes de haschich en provenance du Maroc. En raison du manque de moyens et d’effectifs policiers ou du manque de réactivité, les trafiquants de cannabis, de cocaïne ou même de tabac de contrebande semblent agir en toute impunité…
La série documentaire donne la parole à des trafiquants, des membres de la garde civile espagnole mais aussi à des politiques locaux qui tentent de se faire entendre et de faire bouger le gouvernement national. Le Maire de La Linea, Juan Franco, nous explique que la présence de nombreux trafiquants dans sa communauté est simplement due au positionnement géographique de la ville, située à vingt milles nautiques (trente kilomètres) des côtes marocaines, le Maroc qui est le premier producteur mondial de haschich. La ville souffre alors malheureusement d’une mauvaise réputation éloignant les touristes d’un cadre pourtant très agréable. Le sentiment d’abandon est très présent chez les habitants mais aussi chez Juan Franco qui regrette que les effectifs policiers soient en baisse, mais surtout que les moyens mis à disposition de lutte contre la pauvreté et le manque d’éducation ne soient pas plus importants. Tant que le trafic de drogue représentera, pour certains habitants du moins, le seul moyen de subvenir à leurs besoins, la répression sera vaine. Se confronter à la police devient même un moyen d’asseoir sa réputation et son autorité. Des chefs de réseaux comme Antonio et Francisco Tejon, qui contrôlent les allées et venues des marchandises à La Linea savent exercer une influence non négligeable sur la population locale et encourager une solidarité efficace contre les forces de l’ordre dont l‘impopularité dans certains quartiers est criante. L’argent du trafic fait vivre une communauté qui ne compte pas se laisser marcher sur les pieds. Chaque zone d’intervention de la garde civile est considérée alors comme particulièrement dangereuse. Les membres du narcotrafic sont très bien organisés et la culture de ce trafic est si ancrée dans la population de La Linea qu’elle remplit les rangs des petites mains et complices attirés par le mode de vie confortable affiché par les big boss du trafic. Les perquisitions laissent pourtant apparaître que les intérieurs des chefs de réseaux ne sont pas si luxueux. Ces narcotrafiquants affichent pourtant des signes extérieurs de richesse importants et ce, pour attirer dans le trafic une main-d’oeuvre nécessaire pour alimenter le système. Pour cette dernière, la vie n’est malgré tout pas si belle en fin de compte, car les risques pris ne sont pas négligeables, et les revenus ne sont pas toujours à la hauteur des espérances…
La population locale est assez divisée sur ces sujets-là, mais une chose est sûre, la colère contre la mainmise de la ville par les narcotrafiquants monte. Le laxisme ou l’inactivité des autorités est souvent pointé du doigt… Quand l’Etat réagit c’est alors à grand renfort de policiers et de matériels. La création de l’unité Spéciale OCON est née de ce désir d’appuyer la répression pour fragiliser le sentiment d’impunité chez des jeunes trafiquants qui ont toujours et encore pour modèle Pablo Escobar. Antonio Tejon sera arrêté par l’unité OCON dans ce cadre-là, ce qui va déstabiliser le trafic, mais par la même occasion augmenter la violence dans la ville, non seulement entre forces de l’ordre et trafiquants, mais aussi entre trafiquants en interne. On voit alors par exemple se perpétrer des braquages réguliers de gangs à gangs afin de s’emparer de stocks de marchandises illégales. La violence est donc au rendez-vous à tous les niveaux, mais l’omerta est de mise. Difficile pour les policiers d’obtenir des informations fiables auprès d’une population qui se tait, se taire et fuit les risques de représailles.
Le documentaire nous embarque aussi pour le port d’Algeciras, dans cette même région du détroit de Gibraltar, port qui est la porte d’entrée de la cocaïne en Espagne. Même si les saisies ponctuelles peuvent être très importantes ici, le trafic s’en tire toujours à bon compte, et fait fonctionner à plein tout un système où avocats des narcos, procureurs et policiers jouent le jeu de qui gagnera la partie, en tirera le plus de fierté. Dans ces affaires de narcotrafic, les policiers semblent ici, comme ailleurs, les dindons de la farce. Chaque entretien de membre de la garde civile laisse poindre entre les lignes un sentiment de défaitisme ou d’isolement bien compréhensible. Même si les arrestations conduisent à l’incarcération des trafiquants, qu’a-t-on à leur proposer à la sortie, questionne le Maire de La Linea ? Qui va les embaucher ? Les alternatives au trafic font pale figure pour les jeunes de La Linea, mais aussi pour les jeunes marocains dans la région du Rif marocain, de l’autre côté du détroit, là où pousse une grande partie du cannabis vendu en Europe. La culture où le trafic de drogue piègent encore malheureusement dans leurs filets les jeunes hommes ou jeunes femmes en manque d’aspirations ou de perspectives, et économiquement fragiles. Rien de neuf donc sous le soleil méditerranéen ou celui d’ailleurs…
Thibault de Vivies
(Cet article paraitra dans le numéro 17 de la revue DOPAMINE – www.revuedopamine.fr)