“Le ciel à bout portant“, Un roman de Jorge Franco

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Il est des destins qui sont liés à un seul homme, et quand cet homme est Pablo Escobar, et que toute la vie a été organisée à son service et sous sa protection, il est difficile de se remettre de sa mort. Le ciel à bout portant de Jorge Franco, roman publié aux Editions Métailié, va chercher du côté de la survie et de la mémoire, celle d’une famille mais aussi d’un fils de Narco qui a vécu, jusqu’à l’adolescence, dans un monde qui s’écroule du jour au lendemain…

Medellin est une ville chargée de la mémoire du narcotrafic puisque Pablo Escobar en était originaire et y avait établi son quartier général. Sa mort, le 02 décembre 1993, a chamboulé la Colombie et changé la donne, du moins pour la famille de Larry, jeune homme d’une trentaine d’années qui, douze ans après son départ pour Londres, où il y a suivi ses études, revient dans son pays d’origine pour enterrer son père. Ce retour provisoire au bercail sera l’occasion pour lui de nous raconter ce qu’a vécu sa famille depuis la mort de “Don Pablo“ ou “El Patron“, comme on nommait Escobar. Le temps du récit, qui traverse trois moments, on en saura plus sur les états d’âme des uns et des autres loin des apparences affichées d’un monde sans peur peuplé de gens sans aucune sensibilité. Larry n’a fait, comme beaucoup d’enfants de narcotrafiquants, que subir les choix de vie de ses parents sans avoir rien demandé. Après le calme d’une vie sous protection d’une famille élargie, il faut se débrouiller par soi-même et faire avec les sollicitations et menaces bien plus nombreuses quand le père de famille, fidèle lieutenant d’Escobar, est à son tour sur la sellette et sera finalement kidnappé… Le récit est découpé en trois parties qui s’entremêlent sur ces trois cents pages d’un roman à la première personne qui nous fera passer des années 90 au milieu des années 2000. Il y a la période qui suit la mort de Pablo Escobar, les heures du trajet en avion Londres Medellin, et enfin le temps du retour parmi les siens après douze ans d’absence. Chacun de ces moments de vie, plus ou moins long, sera l’occasion de confidences et confessions, non pas de celles qui permettent de se désolidariser de l’existence dans le trafic et le crime d’un père narco, mais de celles qui permettent de faire comprendre à tout un chacun comment la vie des protagonistes du narcotrafic tient à un fil et comment des épouses et des enfants se retrouvent impliqués malgré eux…

On compatit, on souhaite pour eux qu’ils s’en remettent même si rien n’est plus comme avant. Le temps béni d’une vie confortable sous un parapluie doré n’est plus d’actualité, et le mode de survie devient presque pathétique… Seul Larry prendra du recul sur le parcours de son père, et s’ouvrira de nouveaux horizons, loin de la Colombie, en allant étudier en Europe pour finir économiste distingué, diplômé de la London Scool. Julio restera sur place et s’occupera des fermes de son père, fermes dont il s’est toujours occupé et qui rapporteront suffisamment pour subvenir aux besoins de son petit frère et de sa mère. Fernanda s’enfermera, elle, dans sa maison et dans une consommation de psychotropes qui l’anesthésieront ou la stimuleront en attendant que son mari réapparaisse en pièces détachées… Dans un univers où la modération n’a pas sa place, on a vite fait de basculer d’un côté ou de l’autre de la frontière ténue qui sépare la belle vie en milieu aisé de la survie en milieu hostile… 

Thibault de Vivies 

(Cet article est la version courte d’un article paru dans la revue DOPAMINE.)

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