“Le désordre et la nuit“ Un film de Gilles Grangier

Autres drogues

ARTE nous propose une rediffusion d’un film qui nous plonge dans le milieu de la nuit des années 50… Dans les clubs bourgeois de la capitale on vient se dévergonder bien gentiment en écoutant du jazz dans quelques volutes de fumée et vapeurs d’alcool. Les femmes sont en robe de soirée et les messieurs en costard cravate. Ils dansent, fricotent un peu dans un milieu qui, comparativement à celui des décennies suivantes, n’a rien de sulfureux… Il est tout de même un usage et un trafic qui sont présentés ici comme particulièrement immoral, ce sont ceux de la “cam“, comme il est dit dans le film, en l’occurrence la cocaïne et la morphine, sans d’ailleurs qu’il soit réellement fait de distinction entre deux produits pourtant si éloignés… Derrière la façade d’une élégance à la parisienne, on s’amourache, on traficote et on consomme sous le manteau. On fait illusion tant que la police n’a pas l’occasion de venir plonger son nez dans la poudrière.

L’inspecteur Valois, semble-t-il porté sur “le jus de fruit“, sans que ce soit si flagrant malgré les médisances de ses collègues, est chargé d’enquêter sur le meurtre d’Albert Simoni, propriétaire de « L’oeuf“, club chic des nuits parisiennes. Si c’est Valois qui est désigné pour aller y faire un tour, s’imprégner de l’atmosphère et faire connaissance avec les personnes qui y travaillent ou qui le fréquentent, c’est qu’il est à l’aise dans ce milieu et qu’il s’y fond visiblement assez vite… Dès sa première nuit dans l’Oeuf, il fait la connaissance d’une certaine Lucky Fridel, habituée du lieu pour avoir eu une liaison avec le désormais défunt, Albert Simoni. Lucky est la fille d’un industriel allemand qui menace de lui couper les vivres si elle ne rentre pas à Munich au plus vite. Mais la jeune femme d’une vingtaine d’années rêve de vie parisienne, de romance et d’une carrière de chanteuse. La jeune femme s’évertue à exister dans un milieu où seul son charme semble intéresser les clients. L’inspecteur Valois, baroudeur au grand coeur, succombe aux charmes de Lucky dès le premier soir, et passe la nuit avec elle. Il essaie d’en savoir un peu plus alors sur ses fréquentations, sur celles de son amant Albert Simoni, et comprend assez vite que le propriétaire de l’Oeuf fournit en psychotropes une jeune femme, semble-t-il un peu perdue, et qui se prostitue à l’occasion. Il est question de cocaïne et de morphine ici, deux produits dont elle doit subir le manque désormais, et ce depuis que son amant est décédé…

La suite de la relation entre l’inspecteur vieillissant et la jeune Lucky nous en apprendra un peu plus sur les connexions entre le monde de la nuit, le trafic de la « cam », notamment de morphine, et la production pharmaceutique qui y est associée. Albert Simoni était le frère d’un industriel pharmaceutique de renom. Lucky est liée à une pharmacienne des beaux quartiers, épouse d’un ingénieur chimiste, et seconde maitresse d’Albert Simoni qu’elle fournissait en morphine sans savoir que la substance était destinée à Lucky… La pharmacienne finira par accueillir chez elle la jeune femme souffrant d’un manque évident de morphine. Nous en apercevons quelques symptômes : mal-être général, sueurs froides, pupilles dilatées…

Les histoires de coeur et les histoires de « cam » sont ici suffisamment liées pour que l’omerta sur les différentes combines ou trafics soit la solution adoptée pour contenter tout le monde… Les gangsters et le beau-monde se retrouvent sur le terrain d’un trafic et d’un usage d’opiacés dépeint comme la part « sombre“ du monde récréatif des nuits parisiennes. Les femmes sont présentées comme “sous influence“ des hommes et des produits. Cette image des usagères, mélangeant “glamour“ et “dépravation“, ne fera malheureusement qu’alimenter les fantasmes et les représentations sur les produits et ses consommatrices dans les années et décennies qui suivront…

 

Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #04 de le revue DOPAMINE