“Permis de tuer aux Philippines“ - Enquête télévisée de Marc Wiese - 
Diffusion ARTE

Autres drogues

En interviewant, en 2016, Rodrigo Duterte, le maire de Davao, ville la plus importante du sud des Philippines, la journaliste Maria Ressa, ne s’attend certainement pas à ce que le futur président de l’archipel assume publiquement avoir tué  plusieurs de ses compatriotes, et vouloir instaurer une dictature sanglante et que ça « allait saigner ». Avec ses « commandos de la mort », Rodrigo Duterte, au pouvoir à Davao depuis 1988, posé les bases de ce qui deviendra au niveau national un pouvoir “fort“, pour ne pas dire dictatorial. A son arrivée à la présidence, il met à exécution ses menaces : celui ou celle qui se dresser sur son chemin, en fera les frais… Et que choisir de plus populaire que la lutte contre les usages et le trafic de drogues pour asseoir son pouvoir en affirmant avec force et détermination un désir d’éradication de ce qu’il nomme, comme tant d’autres dirigeants, ici ou ailleurs, un “fléau“ pour la jeunesse,. Un fléau qu’il faut combattre en s’en donnant les moyens. Quand d’autres décideraient de mettre toute leur énergie dans la prévention, la réduction des risques, l’accompagnement et le soin, Rodrigo Duterte se positionne sur le terrain de la menace et des exécutions extrajudiciaires, sans scrupule et sans complexe. Malheur à celui qui aurait quelque chose à y redire…

Le 30 juin 2016, les Philippines élisent un nouveau président. Populiste et grossier, il prône une lutte acharnée contre la corruption et la drogue, qu’il compte éradiquer en six mois. Pour cela, il offre un permis de tuer à la population, mais surtout à la police, armée elle, et aux tueurs à gage prêts à servir, moyennant finance : entre 180 et 350 euros pour un dealer, et autour de 90 euros pour un usager. Voilà les plans macabres d’un président plébiscité par la population… Dès la première nuit de son investiture, les descentes de police dans les quartiers populaires, mais aussi les “contrats“ passés avec les gangs se multiplient. Le nombre de morts suit. En 2017, les pouvoirs publics en dénombraient officiellement 7 000, mais le traficotage des chiffres cache à l’époque et encore aujourd’hui une réalité bien plus dramatique. Certaines organisations de défense des droits de l’homme estime le nombre de morts à plus de 25 000. Et quand on échappe à une exécution à domicile ou dans la rue, on alimente alors les prisons surpeuplées et insalubres ou les centres de “soins“ qui n’ont de sanitaire que le nom… Bien entendu, il n’est pas besoin de réaliser de beaux dessins pour faire comprendre à tout un chacun que cette lutte contre la drogue touche essentiellement les populations fragilisées et exposées, mais qu’elle permet aussi de faire taire, tant que faire se peut, les opposants. Ces derniers sont, en effet, vite soupçonnés, quand ils osent s’exprimer contre le président, d’avoir des accointances avec le milieu du trafic et du crime organisé. Ne nous y trompons pas, le crime organisé est bien celui qui est prôné par Rodrigo Duterte en offrant ce permis de tuer à quiconque aurait affaire un dealer ou un simple usager… Duterte a même étendu récemment le champ d’action de ce permis de tuer en autorisant les forces de police à tirer sur celles et ceux qui ne respectent pas le confinement pendant la crise du coronavirus. Inscrire la peur du président et des forces de police, toujours aussi corrompues, dans les esprits  permet de tenir tout le monde tranquille…

Il est pourtant des voix courageuses qui continuent malgré tout à s’exprimer dans le pays. Mais elles en paient le prix, un prix à la hauteur de leur ténacité légitime à vouloir dénoncer des méthodes d’un autre temps : celles du dictateur Ferdinand Marcos, pourtant renversé par la population en 1986… Parmi ces voix, il y en a une qui compte plus particulièrement, celle de la journaliste Maria Ressa, fondatrice du site d’information Rappler, qui interviewait Rodrigo Duterte lors de sa campagne en 2016. Cette figure emblématique du journalisme d’investigation indépendant est le poil à gratter du président qui le lui rend bien. Le journal est attaqué de toute part par le gouvernement et poursuivi de toutes les manières possibles avec l’objectif de le faire taire définitivement. Quant à Maria Ressa, elle fait régulièrement l’objet d’arrestations pour des motifs douteux, l’obligeant alors à payer une caution pour sortir de détention. Pour autant, la lutte se poursuit, et ce malgré les difficultés économiques qui pèsent, les campagnes successives de diffamation, les attaques sur les réseaux sociaux, et autres intimidations diverses…

L’enquête télévisée proposée ici suit les mésaventures de cette journaliste d’investigation et de son journal. mais Elle donne aussi successivement la parole aux familles des victimes de cette guerre à la drogue, aux politiciens de l’opposition qui n’hésitent pas à affirmer que depuis que Rodrigo Duterte est au pouvoir les drogues rentrent curieusement plus facilement dans le pays, et aux tueurs à gage en charge de mettre à exécution les désirs d’un président qui joue en solo et n’a pas peur de se mettre à dos la communauté internationale ou l’église catholique pourtant si chère aux Philippins…

Espérons que les prochaines élections présidentielles, qui auront lieu dans deux ans, ne soient pas, comme on peut s’y attendre, une “parodie de démocratie“. Il serait alors couru d’avance que Rodrigo Duterte réaffirme malheureusement un peu plus sa dictature. Le pays repartirait alors pour au moins six ans dans une lutte sanglante qui trouverait toujours les arguments fallacieux nécessaires pour bafouer tous les droits de l’homme sous couvert de lutte, visiblement inefficace, contre les usages et le trafic…