“Prins“, Un roman de César Aira

Autres drogues

Prendre la décision d’arrêter d’écrire n’est pas une mince affaire, mais parfois elle s’impose comme une nécessité, et celle que prend le narrateur de ce roman à la première personne, publié aux Editions Christian Bourgeois, est guidée par le besoin de passer à autre chose et par le souci de désencombrer son esprit… Auteur à grand succès de romans gothiques, il veut se libérer d’une activité dont il est arrivé au bout… Le temps est alors venu de trouver “une occupation de substitution“ à l’écriture, comme il dit. Après s’être bien creusé les méninges, l’idée de consommer de l’opium vient très naturellement, réunissant toutes les conditions requises pour chasser l’ennui et faire que tout aille mieux dans le meilleur des mondes. L’idée étant lancée, le désormais ex-écrivain n’a plus qu’à se procurer la substance. Mais où donc la trouver à Buenos Aires ?

Seule piste : l’Hermine, une connaissance à lui. La situation personnelle de l’homme, en marge de la société, ne peut, pour notre narrateur, que laisser penser qu’il saura bien où l’on peut trouver de l’opium… Le lieu indiqué est alors l’Antiquité, un lieu au nom aussi étrange que les produits que l’on doit sûrement y trouver, pense notre narrateur… L’Antiquité se cache derrière la façade d’un temple hideux, mais son antre « contient toute la magnifique élégance du lointain passé. ». C’est celui qui se fait appeler “l’Huissier“ qui accueille le narrateur… L’opium ne sera dévoilé qu’après avoir été payé un bon prix. Et c’est là que toutes les représentations que s’était construites le narrateur, et ce n’est pas le seul, sur ce produit, volent en éclat. Il avait imaginé cet opium de couleur noire, de forme ronde et du diamètre d’une petite boule de bowling. Le produit se présente ici bien autrement, sous la forme d’un parallélépipède légèrement irrégulier aux bords arrondis, à la surface rugueuse, de couleur blanche veloutée mais surtout de la taille d’un lave-linge il est dit. Il n’est pas sécable et doit donc être transporté en l’état. Heureusement la livraison à domicile est comprise dans le prix… 

Mais l’écrivain comprend assez vite que l’Huissier n’a plus de domicile désormais. Il vivait depuis un bail dans l’Antiquité en attendant le client qui, en quelque sorte, le libérerait. Malheureusement, ceci étant fait ce jour-là, et ayant fermé la porte derrière lui, il ne pourra y retourner qu’à condition de mettre la main sur la clé contenue au centre de la masse d’opium… Comment avait-elle pu se trouver là ? Pourquoi ? Que faisait l’Huissier seul dans cette grande Antiquité ? Pourquoi y restait-il enfermé depuis si longtemps sans en sortir ? Quelle était l’histoire de ce lieu et de cet opium ? Toutes ces questions exigent des réponses que l’écrivain tentera d’obtenir auprès d’un homme qu’il accepte d’accueillir chez lui… 

La consommation d’opium du narrateur n’a alors rien d’occasionnel et constitue même sa seule source d’occupation. Les rêveries commencent par des projections mentales de tout ce qui l’entourait et même au-delà de son domicile, comme si le cerveau gardait en mémoire toute trace ou témoignage de vie. L’enfermement dans la demeure s’accentue. L’actualité du dehors n’a plus aucun intérêt et impact sur l’existence des trois colocataires. L’opium prend possession du cerveau réceptif du maître des lieux… Seul face à une parano grandissante, et dans un isolement grandissant, l’écrivain s’enferme dans un monde intérieur qui le coupe de plus en plus de la réalité. Les réserves d’opium diminuent à vitesse grand V en même temps que la demeure se transforme en labyrinthe dans lequel le narrateur a vite fait de se perdre… Il continue de chasser ses pensées mélancoliques en consommant un opium dont il est devenu dépendant mais dont il veut désormais exploiter tout le potentiel. Pour cela il doit le retrouver après l’avoir si bien caché, afin que d’autre que lui ne puisse s’en emparer. Poison et remède ne font plus qu’un désormais. La maison est devenue un abîme dans lequel le narrateur a plongé… Ici, pas de résolution, juste un sentiment de temps et d’espace suffisamment étiré pour que l’on se perde avec l’écrivain dans les méandres du cerveau sous influence de la substance. Rien de bien grave. Juste se laisser aller…

Thibault de Vivies 

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