Récit / Nicotine de Gregor Hens

 

Ce récit du romancier allemand Gregor Hens, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, commence par une confession simple : « J’ai fumé bien plus de cent mille cigarettes dans ma vie et chacune a signifié quelque chose pour moi… Chaque cigarette que j’ai fumée a eu une fonction – elle était signe, médicament, remontant ou tranquillisant, elle était jouet, accessoire, fétiche, passe-temps, aide-mémoire, instrument de communication ou objet de méditation. Parfois elle était tout cela à la fois… ». A n’en pas douter, le tabac a occupé une grande partie de la vie de Gregor Hens, et deux cent pages sont à peine suffisantes à l’auteur pour nous raconter les rapports ambigus qu’il a entretenus avec cette substance addictive durant toutes ces années. La cigarette, de la première à la dernière, a rempli sa vie, du jour de la première expérimentation au jour où le sevrage s’est imposé. Pour l’auteur tout a commencé le jour où sa tante fumeuse lui propose d’utiliser le bout incandescent de sa cigarette pour allumer la mèche d’une fusée. Pour que cette cigarette ait une utilité en restant allumée, il faut tirer dessus… La suite est affaire d’imitation des grandes personnes autour de lui.

Gregor Hens ne fume plus, mais considère que sa personnalité est celle d’un fumeur. Les occasions sont encore nombreuses où la cigarette se rappelle à son bon ou mauvais souvenir. Difficile d’y échapper, surtout si l’on décide d’y consacrer tout un récit.

Cet ouvrage raconte l’histoire d’une relation fusionnelle dont il est difficile de se défaire. L’auteur nous explique comment fonctionne le processus addictif avec quelques éléments techniques sur la cigarette et quelques éléments informatifs instructifs sur la nicotine et sa responsabilité dans la dépendance physique. Mais il nous explique aussi et surtout comment l’esprit peut être pris lui aussi dans le craving tabagique. Ecrire sur ce sujet est alors présenté presque comme un défit. Hens nargue la cigarette en parlant d’elle sans la consommer, comme s’il n’en avait pas encore finit avec le tabac, qu’il ne l’avait pas encore vraiment terrassé malgré les nombreuses années de sevrage derrière lui.

L’auteur nous propose une distinction intéressante, parfois difficile à appréhender dit-il, entre une drogue comme le tabac, et un moyen de jouissance plus anodin, comme les chips ou le chocolat : « Alors que, dans ce deuxième cas, on voudrait en avoir toujours plus, ce que l’on cherche, avec la drogue, c’est le dosage approprié, qu’on augmente que peu à peu, au fil d’une vie. » L’addiction au tabac est insidieuse. Il s’agit d’éviter le manque de nicotine, qui ira grandissant avec la régularité et la quantité de substance consommée.

Raconter son histoire avec le tabac, c’est aussi pour Gregor Hens chercher une explication à la mise en place de son addiction. Comment peut-on poursuivre une consommation dont on sait qu’elle nous est néfaste ? Même si l’auteur va chercher dans des prédispositions familiales, qu’il considère comme la voie principale, il n’exclue pas des voies secondaires… Chercher les causes d’une addiction, et les motivations d’une consommation régulière, c’est aussi construire une boite à outils, celle d’un sevrage à venir…

Consulter en ligne