Les Editions Séguier rééditent ici “Cocaïne“, un roman de Pitigrilli, auteur italien, de son vrai nom Dino Segre (1893-1975), controversé à son époque, tombé dans les oubliettes de nombreuses années, et réhabilité depuis les années 90. Ce roman “Cocaïne“ a été édité pour la première fois en 1921, et fit parlé de lui parce qu’il abordait très librement deux thématiques sulfureuses à l’époque, à savoir le sexe et la coco, l’un et l’autre étant extrêmement liés dans ce récit car ils constituent les deux passions du personnage central.
Tito Arnaudi est un jeune homme italien un peu “rebelle“ qui renonce à son diplôme de médecin, car il refuse d’enlever son monocle pour passer l’examen. Tito “collectionne“ les aventures amoureuses mais, par dépit amoureux, décide sur un coup de tête d’aller vivre à Paris. Une rencontre avec un garçon de café parisien, et une proposition familiale outre atlantique de travail journalistique, le conduise à Montmartre en quête de sensations fortes et surtout de matière vivante pour écrire un article sur la cocaïne, et satisfaire ainsi professionnellement son oncle d’Amérique qui dirige un grand quotidien du matin.
Dans une sorte de backroom de café montmartrois, Tito découvre le monde de la nuit et surtout la poudre blanche qui circule dans un milieu ou jeunes femmes libérées et dealers à la jambe de bois font affaire autour d’un produit qui déchaine leurs passions, à savoir la cocaïne. Tito s’y essaie et ne pourra plus s’en passer. Sa passion pour le produit et pour les femmes l’invite à une vie de bohême où, même s’il est embauché par un grand quotidien français l’Irréfutable, pour lequel il écrit régulièrement des articles, ne s’empêche pas de se laisser vivre, une vie sans contrainte et sans objectif précis dans un Paris qui semble être tombé sous le charme, tous milieux confondus, de la coco, poudre présentée comme envoutante. « Mais quel étrange effet a sur moi la cocaïne ! Froid aux pieds, feux d’artifice dans le cerveau, une avalanche de sottises, le cœur qui bat comme une machine à coudre, et une sereine adaptation à l’idée de l’inertie… … Quel étrange effet à sur moi la cocaïne, la coco, l’enivrante coco !… » Tito visite tous les lieux de consommations de la capitale, et fait la rencontre de cocaïnomanes de toutes conditions, et de tous milieux.
Il n’est pas étonnant qu’à l’époque, la consommation de ce produit soit considérée comme particulièrement sulfureuse car, prohibé depuis peu, il se vendait forcément sous le manteau par l’intermédiaire de messieurs considérés comme peu recommandables puisque pourvoyeurs d’un produit illégal, fortement psychoactif, dont l’usage était donc considéré par les bonnes gens comme immoral. Même si le narrateur fait des différences hasardeuses entre la dépendance à “la drogue“, cocaïne ou morphine, et l’alcoolisme, il ne juge pas la consommation de Tito et des femmes qui l’entourent. Pitigrilli n’est pas un moraliste, loin de là, et bien heureusement. Alors il raconte la consommation et les choix de vie de son protagoniste avec la compassion et la considération nécessaire à ce qu’on vive au plus près des aventures d’un jeune homme qui ne met aucune limite à sa recherche de sensations et à ses sentiments amoureux, et se laisse porter sans se protéger, au risque de se perdre… Il ira jusqu’à appeler “cocaïne“ la femme qu’il considère comme son plus grand amour. « Cocaïne ! lui disait Tito sans son égarement, Cocaïne ! Tu n’es pas Maud, tu es Cocaïne, mon poison nécessaire. Je te fuis en jurant de ne plus jamais te revoir, mais après je reviens finalement à toi, parce que tu m’es nécessaire comme un poison qui me sauve et me tue ! » Quand le poison devient remède, et réciproquement…