Même si l’auteur de ce récit le présente comme un roman, difficile de faire la distinction entre la fiction et la réalité surtout quand il est affirmé que tout ce qui s’y passe est arrivé. Alors imaginons que ce roman soit un récit documentaire avec simplement des noms qui ont été changés. Il est écrit par un journaliste indépendant intégré pendant un an dans une unité spéciale de la brigade des stupéfiants, appelée “Groupe Surdose“, brigade créée en 1990, époque où on dénombrait environ cent cinquante surdoses létale en France. Alexandre Kauffmann a suivi le quotidien d’une équipe de sept policiers, cinq hommes et deux femmes, chargés d’enquêter, suite à des overdoses létales à répétition dans la capitale, sur les fournisseurs pour leur faire porter le chapeau : trafic et homicide involontaire.
Comme il est si bien dit dans ce récit, tant qu’un usager de stupéfiant est bien vivant, il reste coupable vis à vis de la loi, mais s’il décède il devient victime, et tout est alors mis en place pour trouver le ou les coupables qui tombent souvent des nues et se défendent en mettant en avant le fait qu’il vendent un produit sûr, dont le consommateur est averti de la potentielle dangerosité, et qu’il le consomme donc à ses risques et périls. Le raisonnement est parfois poussé plus loin : aucun dealer n’a intérêt à faire mourir ses clients. “Pas bon pour le business“. Mais c’est sans compter bien entendu sur les produits “frelatés“ car mal coupés par les négligents ou novices du milieu.
En France on compte encore aujourd’hui chaque année une vingtaine d’overdoses létales constatées, même si ce chiffre est à prendre avec des pincettes car tous les décès qui sont la conséquence d’une prise de psychotropes ne sont pas systématiques déclarés comme tel par l’administration hospitalière et donc pas tous comptabilisés. Une chose est sûre, le nombre d’overdose a baissé depuis plus d’une décennie grâce à l’engagement des acteurs de santé, institutions et acteurs de terrain, mais aussi des usagers dans la réduction des risques. La disponibilité des traitements de substitution y est aussi pour beaucoup. Même si la France est épargnée par l’épidémie d’overdose d’opiacés qui touche les Etats-Unis et le Canada ces dernières années, il s’agit de rester vigilant, d’autant que contrairement aux idées reçues, les opiacés sont loin d’être les seuls responsables des surdoses en France. La cocaïne, la MDMA ou de multiples drogues de synthèse achetées principalement sur le net, ont aussi leur part de responsabilité.
Pour en revenir au roman-récit d’Alexandre Kauffmann, présenté comme un polar, il serait dommage de ne pas y jeter un œil au moins pour comprendre que les victimes, du moins en région parisienne, puisque c’est là que le Groupe Surdose officie, sont plus rarement aujourd’hui qu’avant des personnes désociabilisées. Parmi les victimes, des hommes et des femmes parfaitement intégrés qui, comme les précédents, ont, soit rencontré “naïvement“ un produit bien trop fort pour eux, soit croisé exceptionnellement la route d’une substance surdosée ou mal coupée, soit fait les mélanges qu’il ne fallait pas faire ce jour-là. Bien entendu ce serait bien trop simple d’incriminer la substance seule. La forme physique et psychique du moment, associée à un manque de discernement ou d’outil de réduction des risques peuvent créer les conditions malheureusement favorables à une overdose.
L’équipe “Surdose“ a accueilli l’auteur en toute confiance, pour un road-trip macabre à la recherche des intermédiaires nombreux pour remonter un filière qui mènera en l’occurrence à un call-center en banlieue parisienne, plateforme dédiée à la réception des commandes de stupéfiants, et faisant travailler un certain nombre de livreurs à domicile. Le milieu du deal est à la fois bien organisé et hiérarchisé, et en même temps constitué de bras cassés ou d’imprudents facilement traçables grâce à la téléphonie. Il est aussi constitué de plus en plus de franc tireurs qui brouillent les filières et la qualité des produits.
Alexandre Kauffmann nous fait pénétrer dans un univers policier et narcotique où le pragmatisme et le coercitif laisse peu de place malheureusement à l’humanisme et à la prévention…