Entrer dans l’univers de Timothy Leary et des psychédéliques par la fiction permet d’aller fouiner un peu plus en profondeur dans les mythes et représentations qui circulent autour des figures du psychédélisme et de la contre-culture des années 60… Difficile alors, avant de forcer l’entrée des espaces d’expérimentation des substances hallucinogènes, outils d’une ouverture des “portes de la perception“ comme le proposera Aldous Huxley, de ne pas faire un tour dans le laboratoire d’Albert Hofmann, qui découvrit en 1943 les effets psychoactifs ce qu’il appela le LSD 25. Les premières pages de ce roman nous racontent comment le chimiste suisse fut le sujet des premiers trips sous LSD, la première absorption étant bien involontaire. Les recherches commandées par les laboratoires Sandoz aboutirent à la découverte d’une molécule hallucinogène aux vertus thérapeutiques, mais qui ne se retrouva sur le devant de la scène que bien des années plus tard, grâce en partie aux expériences réalisées par un docteur en psychologie, enseignant à Harvard, Timothy Leary. Le professeur ne s’intéressait pas uniquement au LSD. Ses premiers usages et premières expériences concernèrent les champignons psilocybes, puis la psilocybine de synthèse, qu’il considérait comme bien moins puissante que l’acide lysergique…
La fiction démarre quand le récit de cette entrée en psychédélisme se fait par l’intermédiaire d’un jeune couple, Fitz et Joanie, parents d’un fils adolescent, Corey. Quand l’histoire commence, Fitz finit sa thèse à Harvard, et Joanie travaille dans une librairie pour faire vivre une petite famille sans le sou mais plein d’espoirs dans l’avenir. Nous sommes en 1962, et le vent de l’anticonformisme souffle sur une Amérique dont la jeunesse se sent prête à s’embarquer dans de nouvelles aventures… Le directeur de thèse de Fitz n’est autre que le professeur Leary qui tente de sensibiliser ses étudiants et ses collègues à des molécules de synthèse ouvrant de nouvelles perspectives, de nouvelles voies d’exploration du monde qui nous entoure et du moi intérieur, avec l’objectif d’explorer des réalités toutes neuves qui permettent d’avoir accès à des vérités révélées… Leary promet, à ceux qui sont prêts à le suivre, une porte d’entrée vers une lumière mystique où l’ego se dissout pour remettre tout à plat et permettre une renaissance… Leary et son compère Dick Alpert organisent tous les week-ends des séances de prise de ces substances hallucinogènes, séances appelées “sacrements“ et présentées comme des cessions expérimentales d’ingestion de produits considérés alors encore comme des supports thérapeutiques, mais dont les effets recherchés ont à voir avec la quête de mysticisme…
Fitz, puis sa femme Joanie, se laisseront séduire par celui qui sera présenté comme le pape du psychédélisme par certains ou “l’homme le plus dangereux du monde“ par le président Nixon en personne. Ils le suivront partout suite à son éviction d’Harvard. D’un hôtel au Mexique pour un séjour prolongé, au manoir de Millbrook, au nord de l’Etat de New York pour une vie communautaire ouverte aux curieux, le couple se laissera embarquer dans une aventure qui devait répondre à leurs envies d’ailleurs et leur quête d’une vie meilleure… Bien entendu, tout ne se passera pas comme Fitz et Joanie l’espéraient. Ils ne pourront pas empêcher leur fils d’être confronté ou impacté par les expériences psychoactives successives des adultes au manoir, mais aussi par une vie en communauté qui laisse finalement peu de place aux rapports apaisés entre ses membres… Quand les aspirations, et les promesses d’un chef de bande, butent contre le mur de la réalité de chacun et des rapports individuels dans le groupe, les échappatoires chimiques ne suffisent plus à combler de bonheur les membres d’une famille qui devra faire les compromis et compromissions nécessaires pour ne pas se perdre… Et quand le FBI commence à mettre son nez dans ces affaires, les hallucinations commencent à se dissiper pour laisser place à la prohibition des produits qui suivront peu de temps après…
Thibault de Vivies