Capturer le craving : bien choisir sa méthode est essentiel !

Examen de l’article de M. C. Enkema et ses collaborateurs (2020) paru dans Drug and Alcohol Dependence, intitulé : “Craving is impermanent and it matters: Investigating craving and cannabis use among young adults with problematic use interested in reducing use”

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Le craving est une envie de consommer qui est intrusive, involontaire, mais surtout très fluctuante. Il jouerait un rôle central dans la rechute et plus généralement dans l’addiction comme en témoigne son ajout aux critères diagnostiques dans la 5ème édition du Manuel Diagnostique et Statistique des troubles Mentaux (DSM-5) (Hasin et al., 2013). A ce jour, la capacité du craving à prédire la consommation de substances reste encore source de débat (Wray et al., 2013), et les méthodes utilisées pour capturer ce phénomène pourraient bien en être la cause (Kavanagh et al., 2013). En effet, la majorité du temps, en recherche comme en clinique, le craving est évalué de façon transversale, c’est-à-dire, une seule fois à l’aide d’un questionnaire qui évalue le craving sur l’instant ou de façon rétrospective en faisant une moyenne sur une période passé. Ces méthodes ne permettent malheureusement pas de prendre en compte les variations de craving, qui est un phénomène dynamique. La méthode EMA (Évaluation Écologique Momentanée) permet justement de capturer les variations rapides des évènements, à l’aide de questionnaires répétés plusieurs fois par jour complétés en vie quotidienne sur des applications sur smartphones. Avec l’EMA, il est donc possible d’évaluer le craving et la consommation en temps réel, et aussi d’examiner la chronologie des évènements pour savoir lequel survient en premier (Serre et al., 2015). Bien que prometteuse, l’utilisation de la méthode EMA reste minoritaire par rapport aux méthodes transversales. Peut-être qu’une petite preuve d’efficacité pourrait inverser la tendance…

L’objectif de cet article était d’étudier l’association entre le craving et la consommation de cannabis en utilisant les deux méthodes : transversale et EMA, chez des jeunes adultes ayant des problèmes d’usage de cannabis et souhaitant réduire leur consommation. Leurs hypothèses étaient que (1) le craving évalué de façon transversale et en EMA sont tous deux associées à la consommation de cannabis en vie quotidienne ; (2) mais que la méthode EMA prédit de façon plus précise la consommation de cannabis que la méthode transversale. Pour ce faire, des étudiants américains consommateurs problématiques de cannabis ont été recrutés. Les participants étaient reçus en entretien pour compléter un questionnaire standardisé qui évaluait le niveau de craving sur l’instant, donc de façon transversale. Puis, durant les deux semaines suivantes en EMA, le craving et la consommation étaient évalués plusieurs fois par jour avec une application sur smartphone. L’ensemble des données étaient ensuite entré dans un modèle statistique afin d’examiner si le craving (transversal ou EMA) pouvait prédire la consommation de cannabis proximale (0-4h suivantes) ou distale (4h-9h suivantes).

L’analyse de ces données chez 80 individus a mis en évidence que les deux méthodes permettaient de prédire l’usage en vie quotidienne mais que la méthode EMA était plus efficace dans cette prédiction. Elle a aussi montré que le craving en EMA prédisait mieux la consommation proximale (0-4h suivantes) que la consommation distale (4h-9h suivantes), d’où l’intérêt d’étudier ces phénomènes sur des temporalités très courtes. Les auteurs recommandent donc l’utilisation de la méthode EMA au profit des méthodes transversales pour étudier le phénomène du craving.

D’un point de vue scientifique, cette étude est très importante puisqu’elle s’inscrit dans l’essence même de la démarche scientifique qui vise à toujours préférer la méthode la plus efficiente pour répondre à la question scientifique posée. D’après les résultats de cette étude, pour examiner la question du lien entre le craving et l’usage, la méthodologie EMA semble être la plus optimale et devrait donc être privilégiée.

D’un point de vue clinique, les résultats de cette étude suggèrent également que l’utilisation d’une méthode en vie quotidienne naturalistes comme l’EMA serait à privilégier à des mesures ponctuelles ou des moyennes rétrospectives dans le but d’aider le clinicien à anticiper d’éventuelles rechutes.

Les intérêts de ce type de méthode sont multiples. En population générale, ou parmi de jeunes consommateurs problématiques, qui ne se présentent que rarement dans des centres de soins, l’EMA pourrait aussi servir à faire du repérage, de la prévention ou de l’orientation vers une équipe médicale, comme le propose notamment l’application Kanopée (Auriacombe et al., 2021). Dans cette optique de mieux repérer les usages problématiques, et anticiper les rechutes, l’identification de biomarqueurs du craving à l’aide de capteurs portables s’avère déjà prometteuse (Baillet, 2021). Dans un avenir pas si lointain, il sera peut-être possible de coupler les applications d’EMA aux capteurs portables, comme les montres connectées, afin d’avertir le patient d’une possible rechute voire même directement les professionnels de santé.

Aujourd’hui, nous avons pratiquement tous un smartphone dans notre poche qui ne demande qu’à nous aider…

Par Laura Lambert 

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