Chemsex : enjeux et perspectives en stimulation transcranienne

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Le chemsex, littéralement sexe chimique, est un comportement sexuel émergent. À ce jour, aucune définition nosologique n’est validée pour définir le chemsex. Il est cependant le plus souvent caractérisé comme une prise de substance psychoactive (SPA) avant et/ou pendant l’activité sexuelle pour désinhiber, faciliter, entretenir, intensifier l’expérience sexuelle.1–4 Il est surtout mais pas exclusivement décrit chez des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Il est classiquement décrit comme pratiqué sur de longues durées pouvant aller jusqu’à 72h d’affilée (marathon sexuel), regroupant le plus souvent de nombreux participants, rassemblés via des applications géolocalisatrices sur smartphone.3–5 Cette pratique comporte une double addiction : celle liée aux substances psychoactives consommées, et celle liée aux pratiques sexuelles multipartenaires.1

Les cathinones, amphétamines et le GHB sont les chefs de file des produits consommés.1,6 Les cathinones et amphétamines sont des substances psychostimulantes et empathogènes.1 Le GHB (GABAergique) est euphorisant et désinhibiteur (franchissement de barrières sur des pratiques, sérophobie…).1 Ces substances psychoactives sont pourvoyeuses d’un craving intense dans lequel réside une part importante de la difficulté à contrôler le comportement.1,6 Le craving, désir irrépressible de réaliser un comportement, est un des symptômes cardinaux des pathologies addictives, chemsex compris, et probablement un des principaux facteurs de risque de rechute.7

Par les produits consommés, les pratiques sexuelles à risque, la multiplicité des partenaires, l’intensité et la fréquence des pratiques, le chemsex entraine de nombreuses complications, qu’elles soient addictologiques,  infectieuses (VIH, VHB, VHC, autres IST), toxicologiques (overdoses, associations déconseillées de substances psychoactives), traumatiques (coups, strangulations, lésions des organes génitaux externes, lésions anales), psychiatriques (trouble anxieux dont trouble panique, dépression, suicide).1,3–5 Toutes ces complications ont un lourd impact en termes de morbi-mortalité. Par ailleurs, le comportement chemsex expose aussi à un risque social (séparation, isolement, absentéisme professionnel, perte d’emploi, hospitalisations…).

Le chemsex étant récent, les personnes le pratiquant n’ont pas forcément conscience des risques qui y sont liés. Mais surtout, les équipes en charge de la réduction des dommages et des risques (RDRD) ne sont pas encore familières de ces usagers et de leurs usages.4,6 Au vu de tous les risques inhérents au chemsex, il apparaît urgent de promouvoir des mesures de RDRD.

Par ailleurs, aucune solution thérapeutique n’a à ce jour montré son efficacité dans le chemsex. Les soins addictologiques apportés par les praticiens actuellement sont empiriques, mimant les démarches thérapeutiques appliquées dans les addictions aux substances psychostimulantes et aux addictions sexuelles. Il apparaît primordial que la recherche explore ce comportement aux allures de trouble addictif, tant sur le plan épidémiologique que thérapeutique.

Une publication récente rapporte le cas d’un patient chemsexeur traité à l’aide d’une technique de stimulation cérébrale non invasive, la stimulation transcrânienne à courant continu (STCC).8 Il s’agit d’un traitement neuromodulateur, consistant en l’application d’un courant électrique continu de faible intensité entre deux électrodes placées sur le scalp. Cette stimulation permet de modifier l’excitabilité neuronale de la région corticale sous-jacente à l’électrode. Elle est simple et sûre, réalisée en ambulatoire et ne nécessite pas de surveillance particulière.9 L’objectif est de cibler des régions cérébrales précises, impliquées dans le craving et dans la régulation des processus de prise de décision.10–12 Dans ce cas clinique, l’équipe a appliqué à ce patient 5 séances de 30 minutes de STCC ciblant le cortex préfrontal dorsolatéral gauche. L’équipe rapporte une efficacité de la STCC à moyen terme sur les cravings et les comportements à risque, sans effet indésirable notable. Bien qu’intéressant, ce résultat doit être confirmé par des études cliniques.

L’équipe du service d’addictologie du CHU de Dijon vient d’obtenir un financement via appel à projet afin d’entreprendre la toute première étude en STCC dans le chemsex. Il s’agira d’une étude contrôlée, randomisée, en double aveugle, visant à inclure 40 patients pratiquant le chemsex de façon régulière. Le traitement par stimulation sera délivré pendant 5 jours consécutifs à raison d’une séance de stimulation par jour. Cette étude visera à mesurer l’efficacité des stimulations cérébrales pour réduire le comportement chemsex et ses complications. Les critères de jugement de cette étude seront l’intensité du craving et la fréquence des pratiques à risque de 4 et 12 semaines après les séances de stimulation cérébrales. Cette étude doit débuter avant la fin de l’année.

La STCC sera-t-elle une solution thérapeutique d’avenir dans le chemsex ?

 

Dr Benjamin Petit, médecin addictologue

Service hospitalo-universitaire d’addictologie, CHU Dijon Bourgogne

benjamin.petit@chu-dijon.fr

 

 

Bibliographie

 

  1. Donnadieu-Rigole H, Peyrière H, Benyamina A, Karila L. Complications Related to Sexualized Drug Use: What Can We Learn From Literature? Front Neurosci [Internet]. 2020;14. Disponible sur: https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnins.2020.548704/full
  2. Sewell J, Cambiano V, Speakman A, Lampe FC, Phillips A, Stuart D, et al. Changes in chemsex and sexual behaviour over time, among a cohort of MSM in London and Brighton: Findings from the AURAH2 study. Int J Drug Policy. juin 2019;68:54‑61.
  3. Milhet M, Néfau T, Lazès-Charmetant A, Tissot N, Zurbach E, Pfau G, et al. Chemsex, slam – Renouvellement des usages de drogues en contextes sexuels parmi les HSH [Internet]. Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies; (Théma TREND). Disponible sur: https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxmmx7.pdf
  4. RESPADD. Livret d’information pour les professionnel[le]s et les intervenant[e]s de santé [Internet]. Disponible sur: https://www.respadd.org/wp-content/uploads/2018/04/ChemSex-BAT5.pdf
  5. Gérome C, Cadet-Taïrou A, Gandilhon M, Milhet M, Detrez V, Martinez M, et al. Usagers, marchés et substances : évolutions récentes (2018-2019) [Internet]. Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies; 2019 déc. Report No.: 136. Disponible sur: https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxcgzc.pdf
  6. Bourne A, Ong J, Pakianathan M. Sharing solutions for a reasoned and evidence-based response: chemsex/party and play among gay and bisexual men. Sex Health. 2018;15(2):99.
  7. Reynaud M, Karila L, Aubin H-J, Benyamina A, Benyamina A. Traité d’addictologie. Médecine Sciences Publications; 2016. 900 p.
  8. Malandain L, Blanc J-V, Ferreri F, Giorgiadis T, Mosser S, Mouchabac S, et al. First case report of tDCS efficacy in severe chemsex addiction. Dialogues Clin Neurosci. sept 2020;22(3):295‑7.
  9. Lefaucheur J-P, Antal A, Ayache SS, Benninger DH, Brunelin J, Cogiamanian F, et al. Evidence-based guidelines on the therapeutic use of transcranial direct current stimulation (tDCS). Clin Neurophysiol. 1 janv 2017;128(1):56‑92.
  10. Jansen JM, Daams JG, Koeter MWJ, Veltman DJ, van den Brink W, Goudriaan AE. Effects of non-invasive neurostimulation on craving: A meta-analysis. Neurosci Biobehav Rev. 1 déc 2013;37(10, Part 2):2472‑80.
  11. Fecteau S, Knoch D, Fregni F, Sultani N, Boggio P, Pascual-Leone A. Diminishing risk-taking behavior by modulating activity in the prefrontal cortex: a direct current stimulation study. J Neurosci Off J Soc Neurosci. 14 nov 2007;27(46):12500‑5.
  12. Fecteau S, Agosta S, Hone-Blanchet A, Fregni F, Boggio P, Ciraulo D, et al. Modulation of smoking and decision-making behaviors with transcranial direct current stimulation in tobacco smokers: a preliminary study. Drug Alcohol Depend. 2014;140:78–84.