Le mésusage de médicaments opiacés et les troubles de l’usage des médicaments opiacés sont des préoccupations anciennes de santé publique. Une attention particulière était portée aux mésusages de médicaments opiacés chez les patients déjà dépendants aux opiacés, et plus particulièrement l’héroïne. Mais ces pratiques d’autosubstitution se sont nettement réduites depuis 20 ans, suite l’autorisation de mise sur le marché des traitements de substitution aux opiacés en France.
Nous constatons par contre une nette évolution des prescriptions des médicaments opiacés depuis plusieurs années et à une émergence des troubles de l’usage des médicaments opiacés, en Europe et aux Etats Unis. Nous avions déjà  alerté dans une étude précédente que 30% des demandes de soins en addictologie émises entre 1997 et 2007 pour un trouble d’usage d’opiacés (CHU de Nantes) concernaient des substances opiacées médicamenteuses, et que des profils nouveaux de primodépendance à des opiacés médicamenteux apparaissaient. Depuis la situation s’aggrave, les douleurs chroniques non cancéreuses touchent environ 7 millions de français. Le volume de prescription de traitements antalgiques opiacés (pallier 2 ou 3) ne fait que croitre en France depuis 10 ans. Les indications larges de ces traitements, notamment dans le cas de douleurs chroniques non cancéreuses, ont conduit à une exposition chronique à des traitements opiacés chez des patients vulnérables. . Ces difficultés deviennent le quotidien des centres d’évaluation et de traitement de la douleur et les structures d’addictologie sont également de plus en plus fréquemment exposées à ce problème, et peu de d’études existent encore sur ce sujet.
Nous avons développé une collaboration entre le service d’addictologie et le centre d’évaluation et de traitement de la douleur au CHU de Brest. Notre objectif était de mener un état des lieux des mésusages de médicaments opiacés et des troubles de l’usage d’opiacés dans la population consultant au centre anti douleur pour des douleurs chroniques non cancéreuses. Les patients ont rempli un questionnaire avant leur première consultation au centre antidouleur, en complément d’un questionnaire déjà existant.
Nous avons retrouvé une prévalence très élevée des troubles de l’usage d’opiacés chez les patients présentant une douleur chronique traitée par des antalgiques opiacés et consultant en CETD. Près de la moitié des patients bénéficiant d’un traitement opiacés répondaient aux critères des troubles de l’usage de manière significative. Le niveau de mésusage des médicaments était aussi élevé, plus spécifiquement chez ceux présentant des troubles de l’usage : prises de posologies supérieures, augmentation de la fréquence des prises et des prises pour des effets autres que ce pour quoi le traitement est prescrit. Néanmoins, d’une manière globale, le sentiment de toujours respecter les prescriptions étaient le même dans les groupes avec ou sans troubles de l’usage. Ce travail a évidemment certaines limites : ces résultats sont limités par les difficultés d’évaluation des troubles de l’usage médicamenteux avec le DSM, dont les critères peuvent conduire à une surestimation de prévalence. De plus, il s’agit d’une étude monocentrique, dans une population bien spécifique. Mais ce travail permet de souligner la nécessité urgente de collaboration entre addictologues et médecins des CETD. Une politique de santé plus globale intégrant la nécessité d’un accès aux traitements antalgiques, en limitant les risques de mésusage et de dépendance est importante à instaurer. Le constat de ces évolutions doit être enregistrées par les autorités de santé et donc conduire à des modifications des discours de prévention et des adaptations suivies des modalités de prise en charge, plus spécifiquement concernant la disponibilité, la réglementation et la galénique des médicaments opiacés .