Addictologie : télémédecine versus entretien face-à-face

Résultats d’un essai clinique de non-infériorité évaluant la TCC dans l’alcoolodépendance, et publié dans Addiction.

Alcool

A l’heure du COVID-19, l’essor de la télémédecine semble avoir été dopé par les nécessités de la distanciation sociale. Mais les réflexions sur l’utilisation des outils virtuels n’ont pas attendu la pandémie. Beaucoup d’autres éléments plaidaient pour intégrer les téléconsultations au suivi médical classique, notamment les difficultés de déplacement pour se rendre aux consultations, liées à la distance dans les zones rurales, et aux difficultés de circulation dans les zones urbaines. En addictologie, il a également été suggéré que ce type d’outils pourrait faciliter la demande de soins et réduire le fameux treatment gap, c.à.d. l’immense proportion de personnes atteintes d’addiction mais qui ne demandent pas d’aide.

Ici, ce sont des chercheurs suédois qui ont réalisé un essai clinique sur 301 patients avec addiction à l’alcool, comparant des séances de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) en face-à-face (groupe contrôle) par internet (groupe expérimental). Les séances étaient par ailleurs similaires. L’essai a duré six-mois pour chaque participant. Le design était basé sur une hypothèse dite de « non-infériorité », destiné à montrer que l’intervention virtuelle est dans le pire des cas équivalente à celle en face-à-face.

Le critère principal d’évaluation était le nombre de verres-standard consommés au cours de la semaine qui précédait la fin de l’étude. La limite de « non-infériorité » était de 5 verres-standard, c.à.d. que le groupe expérimental ne devait pas boire en moyenne plus de 5 verres-standard que le groupe expérimental sur la dernière semaine de traitement. Parmi les critères secondaires, les auteurs mesuraient le score AUDIT à 6 mois. L’essai était en intention de traiter, c.à.d. qu’il intégrait les perdus de vue, ce qui est un point important car le groupe face-à-face risquait d’avoir davantage de perdus de vue, et si ces derniers avaient été éliminés des analyses, cela aurait pu faussement avantager le groupe contrôle.

Les résultats ont confirmé la non-infériorité de la consommation moyenne en fin d’étude dans le groupe Internet (en moyenne 12,33 verres-standard par semaine), par rapport au groupe face-à-face (en moyenne 11,43 verres-standard). En revanche, le score AUDIT était légèrement supérieur dans le groupe Internet (12,26/40) par rapport au groupe face-à-face (11,57/40). Bien que très faible, la différence était trop importante pour en déduire la non-infériorité. Les auteurs concluent que les séances virtuelles ne faisaient « pas aussi bien » que les séances face-à-face.

La première réaction à ces résultats serait de se dire « tant mieux, c’est donc bien de rester en suivi face-à-face ». Ce n’est pas si simple. Les essais de non-infériorité sont souvent exigeants. Ici, la différence sur le score AUDIT est statistiquement différente, mais cliniquement parlant, une différence de moins d’un point sur quarante possibles ne reflète clairement pas une différence palpable par un soignant. D’autres points ne sont pas mentionnés dans le résumé (il faudrait aller voir le papier entier), notamment le taux de perdus de vue. Si celui-ci est statistiquement plus faible dans le groupe Internet (ce qui est possible car il est plus facile de se connecter pour voir son thérapeute que de prendre sa voiture ou les transports en commun), cela veut dire que davantage de patients restent en soins pour un résultat global similaire ou au pire légèrement inférieur. Par ailleurs, l’essai était relativement long pour une étude de ce type (6 mois), mais en pratique relativement bref par comparaison aux durées de suivi classique (même si les séances de TCC ne représentent qu’une partie de ce suivi). Si la télémédecine améliore l’observance aux consultations, cela pourrait s’observer dans la durée, même si cela reste à démontrer.

Les téléconsultations ne sont probablement pas à opposer au suivi face-à-face classique. Les deux types de consultations sont probablement complémentaires, et leur place respective est vraisemblablement à adapter en fonction du moment du suivi, du type de patient, et de caractéristiques liées à ce dernier, comme la sévérité de son état, la distance entre son lieu d’habitation et le lieu de soin, et les particularités locales (accessibilité en transport en commun ou véhicule personnel).

Benjamin Rolland et Julia de Ternay

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