Induction de buprénorphine chez des patients dépendants au fentanyl : attention aux aspects pharmacocinétiques.

Une étude parue dans Drug & Alcohol Dependence

Autres drogues

Aux États-Unis, l’héroïne commencerait presque à passer pour une drogue douce. Le fentanyl, opioïde de synthèse moins cher et bien plus puissant, et encore utilisé comme médicament antalgique pour les douleurs cancéreuses, se retrouve de plus en plus comme une drogue de rue. Il est utilisé comme tel par les usagers. Mais le plus souvent, il est mélangé à l’héroïne, et dans ce cas les consommateurs peuvent ignorer qu’ils en absorbent.

On savait déjà que le fentanyl et ses dérivés encore plus puissants, comme le sufentanil ou le carfentanil, sont responsables de décès accrus lors des overdoses, car ces molécules sont tellement affines pour le récepteur opioïde µ que l’antidote utilisé par les pairs ou par les services de secours, la naloxone, a beaucoup plus de difficultés à chasser ces produits par comparaison avec l’héroïne.

Cette étude américaine montre que l’utilisation de buprénorphine à visée de substitution est également rendue compliquée par les propriétés pharmacocinétiques du fentanyl, qui ne sont pas si bien connues, en particulier en cas d’usage non-thérapeutique. Ici, 12 sujets qui participaient à un relai hospitalier fentanyl vers buprénorphine ont eu des prélèvements réguliers d’urine lors de leur séjour. Les résultats montrent que le moyen d’élimination du fentanyl était de 7±5 jours pour le fentanyl, et 13,3±7 jours pour le norfentanyl, un dérivé inactif.

Parce que la buprénorphine est moins affine que le fentanyl pour les récepteurs µ, ce qui constitue une exception car normalement la buprénorphine chasse tous les agonistes complets des récepteurs cibles, une élimination aussi longue pourrait être associée à une mauvaise efficacité de la buprénorphine au cours des jours suivant l’arrêt du fentanyl. Les auteurs américains rapportent que l’initiation de buprénorphine est difficile chez ces sujets et ils mettent en avant leurs résultats pour expliquer ce phénomène.

En France, l’usage de fentanyl reste limité, mais il n’est pas anecdotique. Surtout, si les dealers américains ont pris l’habitude de couper l’héroïne avec des produits moins chers et plus puissants, on ne voit pas pourquoi leurs collègues européens feraient preuve de plus de scrupules. Pour cette raison, un bon interrogatoire des patients, et une recherche systématique de fentanylés dans les urines des patients, paraissent être des mesures de plus en plus indispensables dans la pratique addictologique contemporaine.

Benjamin ROLLAND

Consulter en ligne