"Je pouvais bosser non-stop et ne pas dormir" : sept Français nous racontent leur addiction à la cocaïne au travail

En 2023, plus d'un million de personnes ont consommé cette drogue en France, un chiffre qui a presque doublé en un an. Son usage s'est notamment accru dans un contexte professionnel et touche tous les corps de métiers.

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Je pouvais bosser non stop et pas dormir sept Français nous racontent addiction cocaïne travail

Manon est serveuse, Vincent élabore des décors pour la télévision, Caroline soigne des patients, Léa est agricultrice… Des métiers différents, mais un point commun : la cocaïne. Pour tenir le rythme, s’intégrer ou soulager leurs souffrances, ces Français ont déjà consommé cette drogue au travail. Certains ont arrêté, d’autres essaient ou y songent tandis qu’une partie n’y arrive pas. Après tout, « c’est la seule drogue que tu peux prendre et aller au boulot sans que personne ne se rende compte de rien », explique Marianne, navigatrice, qui a consommé jusqu’à un gramme par jour lorsqu’elle faisait des croisières d’une semaine dans les Antilles.

Comme elle, plusieurs Français ont accepté de raconter à franceinfo leur addiction à la cocaïne au travail, dont la consommation est illégale et passible d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende(Nouvelle fenêtre). Selon le dernier rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), la consommation n’a jamais été aussi forte en France. En 2023, 1,1 million de personnes en ont consommé au moins une fois dans l’année, contre  600 000 en 2022. Son usage s’est accru dans le monde professionnel, « soit pour supporter des cadences intensives, soit pour faire face à la pénibilité des conditions de travail », selon Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’OFDT, qui pointe une certaine « banalisation de l’image de la cocaïne, qui serait devenue ‘familière’ et perçue comme ‘moins dangereuse’ qu’il y a vingt ans ».

« J’étais obligé d’en prendre pour tenir » : Sam, chef de cuisine

Sam* a 42 ans et, derrière lui, quatorze années d’une consommation de cocaïne régulière. Dès l’âge de 20 ans, la poudre blanche prend une place importante dans sa vie professionnelle : cuisinier dans un restaurant de l’île Saint-Martin, dans les Caraïbes, le jeune homme travaille jusqu’à 2 heures du matin. « Pour pouvoir tenir, on était obligés d’en prendre », assène le quadragénaire. Et de poursuivre : « Lorsqu’il fallait être performant, je prenais de la cocaïne comme un sportif des produits dopants. » Sa consommation, qui varie « en fonction de l’activité », tourne alors autour de 0,5 à 1 gramme par soir.

« On se disait : ‘Tu veux un remontant ?’ Et on allait dans la chambre froide chercher les échalotes et se repoudrer le pif. »

Sam, chef de cuisine

« Avec la cocaïne, toutes les assiettes sortaient en temps et en heure et les patrons étaient contents », se souvient-il. De retour dans l’Hexagone, Sam entame les saisons, toujours dans la restauration, mais cette fois-ci dans des établissements gastronomiques. L’homme prend du galon et devient chef de cuisine, avec des équipes de quatre à huit personnes à gérer. Sa consommation bondit : « J’avais encore plus de pression. Sur une saison de quatre à six mois, c’était jusqu’à 3 000 euros qui y passaient », chiffre-t-il. Son salut intervient lorsqu’il change de profession : Sam arrête par la même occasion la cocaïne au travail, même s’il admet continuer à en consommer « occasionnellement » dans un contexte festif.

« La cocaïne est un facilitateur » : Vincent, accessoiriste

Vincent*, 28 ans, travaille comme accessoiriste sur des tournages pour la télévision en tant qu’intermittent. Pour se faire un nom dans le milieu, il a participé à tous les pots et soirées durant lesquels circule de la cocaïne, qu’il considère comme « un facilitateur » de relations professionnelles. Une stratégie qui a fonctionné, selon lui : « Je n’ai pas fait un CV depuis huit ans et pourtant j’ai dû signer une centaine de contrats. »

Atteint d’une maladie chronique qui le fatigue au quotidien, le jeune homme utilise aussi la cocaïne lors des moments de sociabilité pour ne pas avoir à rentrer chez lui exténué et « trop tôt ».  « Ça m’est aussi arrivé de consommer les jours de tournage », admet-il aisément. « T’es en soirée jusqu’à 4 heures et tu dois te lever à 5 heures pour travailler. Alors le matin, tu finis les restes de la cocaïne de la veille pour tenir. » « Pour éviter l’endormissement », Vincent consomme aussi au moment de prendre le volant, lors de déplacements professionnels, sans avoir jamais rencontré de déboires avec la police.

A chaque nouveau tournage, il étudie la liste des équipes présentes et achète en gros, « pour tout le monde », jusqu’à « 20 ou 30 grammes » qu’il revend ensuite aux équipes. « Mais sans faire de marge », assure-t-il, avant d’ajouter : « Souvent, j’en prends un peu plus, ce n’est jamais perdu, ça ne se périme pas. » Le jeune homme admet que sa consommation serait bien moins importante s’il exerçait une autre profession, mais n’envisage pas pour autant un nouveau départ. « Je pense que je n’arrêterai jamais la coke, c’est fun », assume-t-il, en omettant que la cocaïne peut notamment engendrer de l’anxiété, une dépression ou encore un infarctus du myocarde, selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS)(Nouvelle fenêtre), spécialisé dans la santé au travail.

En savoir plus : www.francetvinfo.fr.