Les consommations chez les jeunes de substances psychoactives – substances qui perturbent le fonctionnement du système nerveux central (sensations, perceptions, humeurs, sentiments, motricité) ou modifient les états de conscience, comme le tabac, l’alcool, le cannabis et autres drogues illicites – sont au cœur des préoccupations en matière de prévention.
Si les usages changent, notamment en lien avec la consommation de certaines substances psychoactives, et que l’évolution des codes de socialisation est notable chez les jeunes, force est de constater que l’environnement économique, culturel, social ainsi que les attitudes éducatives des familles, participent souvent à générer des disparités quant à ces consommations. Et ce, tant au niveau des typologies de substances que de la fréquence de leur consommation.
L’évolution des comportements des adolescents contribue à la baisse constatée de la consommation de la plupart des substances psychoactives, en premier lieu du tabac, de l’alcool et du cannabis (Enquête ESCAPAD 2022 – Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) et Direction du service national de la jeunesse (DSNJ)). Cependant en miroir, cette baisse des consommations dissimule une dégradation de la santé mentale des jeunes de 17 ans et des situations contrastées, notamment en fonction du contexte sociodémographique.
Addict’AIDE qui vous a apporté, tout au long du mois d’août, des éclairages sous différents prismes autour de la consommation de substances psychoactives chez les jeunes, un sujet sociétal majeur, vous propose dans cet article un retour plus étoffé sur des informations et des chiffres clés à mettre en perspective.
Consommation de substances psychoactives chez les jeunes, rapide état des lieux d’une évolution en marche
Le profil de consommation de substances psychoactives chez les jeunes adultes, dont les adolescents, diffère de celui des adultes plus âgés. Ils ont en effet tendance généralement à consommer de l’alcool de façon excessive, sur des périodes relativement courtes (lors de soirées, d’événements festifs…). Des comportements à risques pour la santé, qui peuvent avoir de graves conséquences, avec notamment une mise en danger immédiate (accident, perte de contrôle…), favorisant qui plus est à l’âge adulte le développement potentiel de conduites addictives.
Le Baromètre Santé publique France (2023) souligne que pour les jeunes (18-25 ans), la consommation se concentre globalement sur des modalités précises : entre 4 et 5 verres en moyenne lors d’une soirée, et ce, entre 90 et 110 jours par an. Une donnée loin d’être neutre.
Si en 2017 les chiffres pointent des résultats inquiétants notamment sur la consommation d’alcool des jeunes : 85,7 % des 16/17 ans l’ont déjà expérimentée avant même d’être majeurs, 44% déclarent une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois (Source : ESCAPAD 2017 -OFDT/DSNJ), la situation a depuis évolué avec des résultats positifs. En effet, l’enquête ESCAPAD menée en 2022 par l’OFDT en partenariat avec la DSNJ souligne une baisse notable de l’usage de la plupart des drogues chez les jeunes de 17 ans, dont l’alcool.
Des idées reçues bousculées par les chiffres !
« Un des faits marquants les plus importants à souligner, et qui va un peu à l’encontre des croyances et des idées reçues- consistant à penser que les addictions explosent chez les jeunes -, sont contredites par les études épidémiologiques réalisés auprès des jeunes français… En effet, c’est l’inverse que l’on constate dans nos dernières études. Depuis les années 2010, les tendances à la baisse des consommations de substances psychoactives chez les jeunes, pour quasiment toutes les substances, sont avérées » souligne Guillaume Airagnes directeur de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).
Ainsi, les consommations d’alcool, de tabac, de cannabis et de la plupart des drogues illicites comme la cocaïne ou l’ecstasy ont commencé leur baisse chez les jeunes adolescents français depuis les années 2010, avec une courbe à la baisse encore plus marquée ces dernières années, en particulier depuis la crise du Covid. Pour certaines substances, les baisses sont spectaculaires précise Guillaume Airagnes. Ainsi notamment, alors qu’en 2011, 31 % des lycéens fumaient tous les jours, ils ne sont plus que 6,2 % en 2022. Une chute significative qu’il est important de souligner.
Un mouvement qui concerne l’ensemble des pays Occidentaux, mais plus marqué en France
Ce mouvement à la baisse des consommations de substances psychoactives chez les jeunes est observé dans la plupart des pays occidentaux. Il semble cependant plus affirmé en France que dans d’autres pays européens, notamment pour les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis.
Des enquêtes – HBSC et EnCLASS France 2018 et 2022 – menées dans 44 pays, montrent d’ailleurs clairement le recul des consommations des adolescents français, dans le classement général.
Les adolescents français déclarant avoir déjà consommé de l’alcool une fois dans leur vie dès l’âge de 11 ans passent ainsi de la 1ère place dans le classement en 2018 à la 12ème en 2022. Ce qui constitue une baisse spectaculaire à considérer comme un signe très positif. Pour le tabac, les adolescents français de 15 ans ayant déjà fumé du tabac au cours des 30 derniers jours, passent de la 14ème place du classement en 2018 à la 26ème en 2022.
Plusieurs hypothèses non exhaustives peuvent expliquer cette baisse
Bien entendu, les diverses actions publiques menées depuis des années, avec des campagnes massives d’information, de prévention et relayées par les acteurs de terrain, portent petit à petit leurs fruits… Les consciences s’ouvrent, les regards changent.
Mais aussi le changement dans les modes de socialisation des jeunes, désormais tournés vers d’autres codes et usages pour se réunir et vivre une vie sociale : réseaux sociaux, médias et jeux numériques plutôt que des partages autour d’un verre (bien souvent accompagnés de l’usage d’autres drogues : cannabis, tabac…).
Notons aussi une réelle volonté proactive en France de déployer auprès des jeunes collégiens et lycéens des programmes de développement des compétences psychosociales des jeunes. Des programmes qui les aident à résister à l’influence d’un groupe, à développer leur esprit critique, à s’affirmer davantage. Autant de leviers qui favorisent la confiance et l’estime de soi et qui peuvent avoir un effet sur la réduction de leurs niveaux de consommation.
Des résultats positifs qui cachent des réalités contrastées
Des faits marquants à ne pas négliger
« Ce n’est pas parce que les niveaux de consommation de substances psychoactives baissent chez les adolescents que cela signifie nécessairement que leur santé mentale est bonne » nuance Guillaume Airagnes. En effet, ces enquêtes qui soulignent une baisse de la consommation de substances psychoactives chez les jeunes de 17 ans, mettent en relief également une dégradation significative de leur santé mentale. 5,6 % présentent un risque important de dépression selon l’enquête ESCAPAD 2022, soit 3 points de plus qu’en 2017. Par ailleurs, en 2022, 8,7 % des adolescents considèrent leur état de santé comme « peu » ou même « pas du tout satisfaisant ». Alors qu’en 2017, ils étaient 6,7 %.
Sans compter les inégalités sociales et de genre qui viennent encore contraster les chiffres. Ainsi, 43,5 % des jeunes de 17 ans sortis du système scolaire fument quotidiennement, contre 22 % des élèves des lycées généraux et technologiques âgés de 17 ans. Et 18,2 % des appentis reconnaissent un usage régulier de l’alcool, contre 5,9 % des élèves des lycées généraux et technologiques. Quant aux filles, elles sont plus nombreuses à faire un usage quotidien de la cigarette électronique, multiplié par 6 en 5 ans, passant de 0,9 % en 2017 à 6,3 % en 2022, et dont l’usage récent progresse de 19 %.
L’émergence de nouvelles substances psychoactives est à considérer et à prévenir
Outre les disparités précédemment évoquées, l’OFDT constate chez les adolescents des niveaux particulièrement élevés d’expérimentation de nouvelles substances psychoactives. Alors que les consommations d’alcool, de tabac, de cannabis prennent une courbe descendante ces dernières années, le poppers et le protoxyde d’azote (gaz hilarant) notamment voient leur consommation progresser. Ainsi en 2022, 5,4 % des lycéens déclarent avoir déjà expérimenté le gaz hilarant. « Les bombonnes de gaz dont la vente est évidemment normalement interdite aux mineurs, sont achetées via le Web. De plus, toute une gamme de produits spécifiquement destinés à faciliter l’extraction de protoxyde d’azote, tels que les « crakers » pour ne pas se brûler ou des billes aromatiques sont commercialisés de façon illégale » complète Guillaume Airagnes. Selon une étude parue dans La Revue de Médecine Interne, réalisée en 2023 par un groupe de chercheurs en neurologie à l’hôpital de Saint-Denis, la consommation de protoxyde d’azote est devenue la 1ère cause de myélite et neuropathie périphérique chez les jeunes adultes en Île-de-France. Lorsqu’il est utilisé régulièrement, le protoxyde d’azote provoque en effet des déficits en vitamines B12, essentielles au fonctionnement des neurones.
Prévenir et accompagner, de multiples leviers
Plusieurs stratégies sont à retenir. La première, poursuivre le développement des actions de santé publique, en particulier les campagnes de prévention, relayées par de multiples acteurs, et dont on constate sur la durée les effets positifs qu’ils produisent auprès des nouvelles générations de collégiens et lycéens.
Optimiser également davantage encore le déploiement des programmes de sensibilisation au développement des compétences psychosociales des jeunes, car ils agissent à la fois sur la baisse de leurs consommations, mais aussi sur l’amélioration de leur bien-être psychique et de leur développement socio-affectif.
Pour les substances psychoactives émergentes, il est nécessaire d’initier de nouvelles actions en y associant de l’information, de la prévention auprès des jeunes, mais aussi auprès de leur famille, et des professionnels de santé qu’ils sont amenés à les côtoyer (médecine scolaire, préventeurs…), tout en maintenant et optimisant les mesures de respect des interdits qui sont protecteurs.
Enfin la multiplication d’événements et autres rencontres qui visent à proposer des initiatives innovantes, contribue également à informer les jeunes, à les accompagner et à changer les regards sur la consommation de substances psychoactives. Ce mois-ci, nous avons par exemple mis en lumière le Facettes Festival, un festival NoLo (No Alcohol – Low Alcohol). Soutenu par la Mildeca et créé en 2021 par l’Association Innovation Citoyenne en Santé Mentale que préside @Clémence Monvoisin, l’intention de ce festival est de remettre la liberté au cœur de l’expérience, donner envie d’essayer des manières alternatives de faire la fête plus qu’interdire, sortir des schémas de consommations d’alcool parfois un peu automatiques ou guidés par les représentations sociales. Concrètement c’est une buvette principale sans alcool avec la mise en avant de boissons à prix accessibles et avec une gamme qui laisse le choix à des produits originaux et de qualité. Ce sont aussi des sensibilisations par le jeu, avec le témoignage de personnalités qui partagent leur expérience avec les festivaliers.
Muriel Gutierrez (Amande épicée)