Introduction :
En France, l’accessibilité aux formes longue durée d’action de buprénorphine est très limitée faute de prise en charge financière liée à son statut. En effet, ce produit a été réservé à « l’usage professionnel » dans un esprit de sécurité absolue (aucun risque d’une injection intravasculaire par le patient lui-même). Cependant cette mention l’exclu du remboursement classique.
Et contrairement aux médicaments utilisés dans l’interruption volontaire de grossesse qui sont également réservés à l’usage professionnel, il n’existe pas de forfait spécifique payé au professionnel de santé par l’assurance maladie qui inclut le coût du médicament.
Malgré les nombreuses études internationales, la Haute autorité de santé a décrété dans son avis que la place des longues durées d’action de buprénorphine dans la stratégie thérapeutique restait à préciser.
L’article rapporté ici, présente l’expérience d’une ville américaine (Camden, New jersey) dans la banlieue pauvre de Philadelphie. Cette ville de 77 000 habitants dispose d’un centre de traitement des addictions qui se veut accessible au plus précaire dans le cadre d’un accès « bas seuil ».
Matériels et méthodes :
Pendant 3 ans (2018-2020), ils ont proposé à leur patient la forme mensuelle longue durée Sublocade® (spécialité non disponible en France) pour tous les motifs pour lesquels cette nouvelle galénique apporte une plus-value (plus de flexibilité, moins de stigmatisation, plus de discrétion, problème d’observance, surconsommation, polyconsommations…). La prise en charge restait classique avec une offre médicopsychosociale.
L’objectif était de comparer la rétention dans la substitution ainsi que les résultats des analyses urinaires à 6 mois versus ceux qui ont refusé l’instauration de cette nouvelle galénique.
De nombreux paramètres ont été enregistrés.
Résultats :
233 patients ont participé avec une majorité d’homme (62 %). 94 % d’entre eux avaient une couverture pour précaire (Médicaire/Médicaid). 89 % étaient des consommateurs d’héroïne ou fentanyl dont 69 % en injection. 62 % étaient des polyconsommateurs. 65 % des personnes ont choisi le long acting pour instabilité versus la forme sublinguale.
Sur ces 233 patients, 118 ont accepté l’injection retard tandis que 115 l’ont refusé.
Quand on compare le profil de ceux qui ont accepté versus ceux qui ont refusé, on retrouve une polyconsommation plus importante (95.8 % vs. 28.1 %, p < 0.001), plus de comorbidités psychiatriques (66.1 % vs. 50.4 %, p = 0.02) et une instabilité plus importante (75.7 % vs. 55.1 %, p < 0.001).
Sur les 118 qui ont débuté le buprénorphine longue durée d’action, la moyenne du nombre d’injection sur les 6 mois est de 3,7 et seul 1/3 ont eu les 6 injections. 60 % des usagers ont réclamé en plus de l’injection des prises supplémentaires de sublinguale au démarrage.
Plus de 70 % des patients sont restés à la dose maximale prévue.
La raison principale pour ne pas avoir eu 6 injections comme prévu était le motif : « perdu de vue ».
Sur ceux qui sont restés 6 mois, les 2/3 sont restés sous injection contre 1/3 qui sont retournés à la forme sublinguale.
Concernant les analyses urinaires, il y a globalement deux fois plus de personnes négatives aux opioïdes et 50 % de plus qui sont négatifs pour la cocaïne sous forme retard que sous forme sublinguale.
Conclusion :
Dans ce retour d’expérience « bas seuil », on remarque que le taux de rétention à 6 mois pour ceux qui ont été traités par injection retard est le double versus ceux qui sont restés sous forme sublinguale. Il y a moins de consommation d’opioïdes et de cocaïne.
50 % ont nécessité des doses adjuvantes de buprénorphine sublinguale le premier mois, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il faut au moins 3 mois pour être totalement équilibré. Enfin, lorsque les usagers sont des injecteurs, il est préférable de mettre les plus fortes posologies.
Cette étude permet de répondre en partie à la HAS en montrant que la buprénorphine injectable LP est aussi très utile aux injecteurs les plus précaires qui sont plus instables. Reste l’accessibilité à ces nouvelles galéniques qui nécessite, en France, d’être fluidifiée surtout qu’il n’est pas certain que 94 % de nos concitoyens précaires disposent d’une couverture médicale (assurance maladie) active.
Par Mathieu Chappuy