
Introduction
Depuis plus de 60 ans, la cytisine est utilisée dans de nombreux pays d’Europe de l’Est dans le sevrage tabagique. Cet alcaloïde, qui provient de la plante Cytisus labornum (Golden Rain Acacia), a une très forte affinité (c’est un agoniste partiel) pour les récepteurs nicotiniques a4b2. Découverte en 1818, et isolée en 1865, elle fut distribuée aux soldats allemands et russes, pendant la seconde guerre mondiale (1).
Commercialisée pour la première fois en 1964 pour l’arrêt du tabac sous le nom Tabex, elle est produite encore actuellement par la société bulgare Sopharma. Ce sont des tablettes dosées à 1,5 mg (boite de 100 tablettes vendue 20€), avec une durée de traitement courte, 25 jours, selon le protocole suivant :
- 6 tablettes par jour les 3 premiers jours (une toutes les 2 heures) avec une diminution du nombre de cigarettes fumées,
- 5 tablettes par jour du 4ème au 16ème jour avec l’arrêt du tabac le 5ème jour,
- 3 tablettes par jour du 17ème au 20ème jour (une toutes les 4 heures),
- et 2 tablettes (une toutes les 6 heures) du 21ème au 25ème
Le Tabex est contre-indiqué chez les patients atteints d’athérosclérose avancée ou d’hypertension artérielle, porteurs d’un phéochromocytome. Les effets secondaires sont les suivants : nausées, vomissements, vertiges, tachycardie et faiblesse musculaire. Ils disparaissent rapidement, si l’on diminue le dosage de cytisine.
Il existe donc un traitement de courte durée, un médicament qui ne coûte pas cher, ayant peu d’effets secondaires. Comment se fait-il alors qu’il ne soit pas commercialisé en France, en Suisse ou aux USA ? Tout simplement parce qu’on manque d’études cliniques robustes permettant son AMM.
Un détail qui a aussi toute son importance : la varénicline (Champix®), qui est aussi un agoniste partiel des récepteurs a4b2 et commercialisée en France depuis 2007 était proposée aux fumeurs désirant arrêter de fumer, est proche de la cytisine jusqu’en 2020.
En tant qu’agoniste partiel, la cytisine réduit l’envie de fumer et les symptômes de sevrage ; en tant qu’antagoniste, elle diminue la fixation de la nicotine sur les récepteurs nicotiniques neuronaux, limitant ainsi les effets renforçateurs de la nicotine. L’efficacité de la cytisine comparée au placebo et au patch à la nicotine a été démontrée dans des essais cliniques utilisant un schéma posologique traditionnel, avec une dose de 1,5 mg prise 6 fois par jour et diminuée progressivement sur une période de traitement de 25 jours. La cytisine pourrait avoir une efficacité comparable à celle de la varénicline, tout en entraînant moins d’effets indésirables (2, 3). La justification scientifique du schéma posologique traditionnel de la cytisine reste inconnue.
Objectifs de l’étude
Nancy Rigotti, Neal Benowitz et collaborateurs, du Massachusetts General Hospital à Boston (USA) ont développé un nouveau schéma posologique basé sur la pharmacocinétique de la cytisine dans le but d’optimiser son efficacité : 3 mg pris 3 fois par jour pendant 6 ou 12 semaines.
Méthodologie
Il s’agissait d’un essai clinique randomisé de phase 3, en double aveugle, contrôlé par placebo, avec trois groupes (ORCA-3), mené sur 20 sites cliniques aux États-Unis de janvier 2022 à mars 2023. L’étude comparait des traitements de 6 et 12 semaines avec un nouveau schéma posologique de cytisine à un placebo, chez des adultes fumant 10 cigarettes ou plus par jour et souhaitant arrêter de fumer. Les participants ont été répartis aléatoirement (1:1:1) dans l’un des trois groupes suivants : cytisine 3 mg trois fois par jour pendant 12 semaines ; cytisine 3 mg trois fois par jour pendant 6 semaines suivie d’un placebo pendant 6 semaines ; ou placebo trois fois par jour pendant 12 semaines. La période de suivi était de 24 semaines, et tous les groupes ont bénéficié d’un accompagnement comportemental.
L’abstinence tabagique continue a été vérifiée biochimiquement (CO<10 ppm) pendant les 4 dernières semaines des traitements de 6 et 12 semaines (critère principal) et depuis la fin du traitement jusqu’à 24 semaines (critère secondaire).
Les effets secondaires ont été notés par ailleurs.
Résultats
Parmi les 792 participants randomisés (âge moyen [écart type] : 52,0 [11,8] ans ; 439 [55,4 %] femmes ; nombre moyen [écart type] de cigarettes/jour : 20,4 [7,5]), 628 (79,3 %) ont terminé l’essai. Les critères de jugement principal et secondaire étaient significativement meilleurs dans les deux groupes cytisine comparés au placebo.
Pour le traitement de 6 semaines, 39 participants sous cytisine (14,8 %) contre 16 sous placebo (6,0 %) étaient abstinents durant les semaines 3 à 6 (OR = 2,9 ; IC 95 % : 1,5-5,6 ; p < .001).
Pour le traitement de 12 semaines, 80 participants sous cytisine (30,3 %) contre 25 sous placebo (9,4 %) étaient abstinents durant les semaines 9 à 12 (OR = 4,4 ; IC 95 % : 2,6-7,3 ; P < .001).
Les taux d’abstinence continue pour le traitement de 6 semaines étaient de 6,8 % (cytisine) contre 1,1 % (placebo) de la semaine 3 à la semaine 24.
Pour le traitement de 12 semaines, les taux d’abstinence continue étaient de 20,5 % (cytisine) contre 4,2 % (placebo) de la semaine 9 à la semaine 24.
La réduction des envies de fumer à la semaine 6 était plus importante avec la cytisine qu’avec le placebo (−15,2 points [IC 95 % : −16,4 à −14,0] contre −12,0 points [IC 95 % : −13,5 à −10,5] ; P < .001).
La cytisine a été bien tolérée, sans événement indésirable grave lié au traitement.
Conclusions
Cet essai clinique de phase 3, multicentrique, contrôlé par placebo et randomisé est le deuxième grand essai mené aux États-Unis à démontrer qu’un nouveau schéma posologique de cytisine à 3 mg, administré trois fois par jour avec un accompagnement comportemental, présente une efficacité robuste et une excellente tolérance en tant que traitement pour arrêter de fumer.
La cytisine montre un potentiel considérable, offrant une efficacité comparable à celle de la varénicline, mais avec un profil d’effets indésirables plus favorable. Elle répond également aux limites des traitements tels que les substituts nicotiniques et le bupropion, qui présentent soit une efficacité moindre, soit des préoccupations plus importantes en matière de tolérance.
Les variations des envies de fumer et des biomarqueurs de la cotinine au fil du temps soutiennent le mécanisme d’action proposé de la cytisine, en tant qu’agoniste partiel de la nicotine.
Ces résultats mettent également en évidence le potentiel de la cytisine à être un outil polyvalent pour le sevrage nicotinique, non seulement pour les cigarettes traditionnelles, mais aussi pour d’autres produits de délivrance de nicotine.
On espère que la cytisine sera bientôt commercialisée en France.
Références bibliographiques
1 Prochaska JJ, Das S, Benowitz NL. Cytisine, the world’s oldest smoking cessation aid. BMJ 2013; 347 :f5198 doi:10.1136/bmj.f5198.
2 Hajek P, McRobbie H, Myers K. Efficacy of cytisine in helping smokers quit: systematic review and meta-analysis. Thorax 2013;68:1037-1042.
3 Livingstone-Banks J, Fanshawe TR, Thomas KH et al. Nicotine receptor partial agonists for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev. 2023 May 5;5(5):CD006103. doi: 10.1002/14651858.
Dr Philippe Arvers (1,2,3)
1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)
2 – 7ème Centre Médical des Armées (76ème Antenne médicale de Varces)
3 – Institut Rhône Alpes Auvergne de Tabacologie (Lyon)
En savoir plus : www.jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2832701