La veille juridique des addictions par Yann Bisiou #2

Autres drogues

Que cette deuxième veille juridique soit pour moi l’occasion de vous présenter, lectrices, lecteurs et équipes d’Addict’Aide, mes vœux les meilleurs pour la nouvelle année.

Pas de trêve des confiseurs cette année pour le droit de la drogue et nous rendons compte ici de trois textes publiés durant les fêtes. Ils concernent l’expérimentation du cannabis thérapeutique, encore, le code mondial anti-dopage et les appartements thérapeutiques et dispositifs d’accueil ouverts aux consommateurs de drogues.

Expérimentation du cannabis thérapeutique

Le dernier arrêté nécessaire à l’expérimentation, relatif à la formation et à la responsabilité des soignants qui participent à l’expérimentation, a été publié au Journal Officiel du 30 décembre 2020. Une publication manifestement faite dans l’urgence puisque la version authentifiée renvoie à des avis non datés, ou plutôt datés du « XX décembre 2020 ». Cette erreur matérielle doit pouvoir être corrigée sans qu’il soit besoin de reprendre un arrêté, mais elle interroge sur l’improvisation qui règne autour de cette expérimentation alors que la question de la formation, par exemple, est discutée depuis des mois.

L’arrêté publié prévoit une obligation de formation préalable des médecins et pharmaciens volontaires pour participer à l’expérimentation. Cette formation, gratuite, qui se déroulera en ligne, sera constituée d’un tronc commun et de modules spécifiques pour chaque groupe de pathologies. Elle donnera lieu à la délivrance d’une « attestation de validation de la formation » qui conditionnera l’inscription des praticiens dans le registre de suivi des patients. Le contenu détaillé et les volumes horaires devraient être publiés dans les jours qui viennent par l’ANSM.

L’arrêté réaffirme par ailleurs les règles déjà prévues par les autres textes relatifs à l’expérimentation sur les modalités de prescription. La première prescription sera réalisée par un médecin volontaire exerçant dans une des structures de référence, préalablement formé et inscrit dans le registre des patients (et oui). La prescription devra préciser le pharmacien volontaire chargé de délivrer le cannabis. Ensuite, cette prescription pourra être renouvelée par un autre médecin formé et inscrit au même registre. Nouveauté dans ce texte, les pharmaciens seront rémunérés 3,57€ pour renseigner le registre après chaque délivrance de cannabis.

Encore une fois ces dispositions réglementaires sont décevantes. Elles sont bureaucratiques, sans répondre aux enjeux du dispositif. Dans un document publié il y a près d’un an, nous avions montré que rendre obligatoire une formation en ligne n’apportait rien. Volontaires, les acteurs de l’expérimentation connaissent déjà le sujet ou sont en demande de formation. Contrôler leur connaissances – sans pouvoir vérifier l’identité du répondant qui plus est – n’apporte strictement rien. À l’inverse il est vraiment regrettable que la formation ne soit proposée qu’aux médecins et pharmaciens responsables. C’est toute l’équipe médicale et les travailleurs sociaux qui devraient pouvoir accéder à cette formation gratuite pour permettre le développement de la prescription thérapeutique de cannabis. Cette bureaucratie que l’on peut reprocher à l’expérimentation du cannabis thérapeutique n’est pas sans rappeler les polémiques qui entourent la mise en œuvre de certaines mesures de lutte contre la pandémie de COVID19 ou la polémique franco-européenne sur le statut du CBD. Elle devrait nous inciter à approfondir la réflexion sur la façon dont les autorités de santé françaises abordent le principe de précaution. Cela pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une veille future si la question intéresse les lecteurs de cette chronique.

 

Modification du code anti-dopage

Le nouvel amendement au code du dopage a également été publié le 28 décembre. Véritable musée des horreurs que Mary Shelley n’aurait pas pu concevoir en imaginant le personnage de Frankenstein, on y trouve pêle-mêle des hormones de croissance, des anabolisants, des modulateurs hormonaux, la description des manipulations de sang ou de composés sanguins, la « manipulation chimique et physique » des athlètes ou le « dopage génétique et cellulaire ». L’usage des stupéfiants, « narcotiques » (méthadone, morphine, fentanyl) et cannabinoïdes est également abordé. Ce nouvel amendement confirme l’interdiction de tous les cannabinoïdes naturels et synthétiques à l’exception du CBD. Un sportif peut donc consommer du CBD sans que cela soit considéré comme du dopage. On comprend mal, dans ces conditions, que de simples citoyens continuent d’être importunés parce qu’ils consomment le même produit et moins encore que ceux qui vendent ces produits puissent être inquiétés par la justice. L’arrêt Kanavape de la CJUE a maintenant 2 mois d’existence, le CBD n’est plus un stupéfiant et n’est pas un produit dopant, des mesures urgentes s’imposent pour organiser son commerce en France, depuis la production jusqu’à la distribution, dans le cadre commun du droit de la consommation.

Décloisonnement des structures du secteur médico-social

Un décret du 29 décembre 2020 est venu modifier les règles de fonctionnement des haltes soins santé, lits d’accueil médicalisés et appartements de coordination thérapeutique qui prennent en charge, notamment, des consommateurs de drogues. Cette modification s’ajoute à celle de novembre qui s’inscrivait dans le contexte d’une montée en puissance du plan quinquennal pour le développement de l’hébergement inconditionnel « un chez soi d’abord » inspiré du programme anglo-saxon « Housing First »[1]. Les nouvelles dispositions publiées en fin d’année (et entrées en vigueur depuis le 1er janvier) visent à décloisonner les dispositifs médico-sociaux en supprimant certaines conditions de labellisation. Ainsi, les appartements thérapeutiques se voient reconnaître la possibilité d’assurer des missions d’accompagnement médico-social sans hébergement en complément de leur activité traditionnelle. Si on comprend l’esprit de la réforme, on peut toutefois s’interroger sur les risques de perte d’identité et de spécificité des dispositifs concernés. Enfin le juriste regrettera que le ministère des solidarités et de la santé n’en ait pas profité pour améliorer la qualité des textes modifiés. On reste perplexe à la lecture de l’article D312-176-3 du code de l’action sociale et des familles qui, pour définir les publics pouvant bénéficier de lits d’accueil médicalisés évoque des personnes sans domicile fixe atteintes de pathologies lourdes et chroniques… « de pronostic plus ou moins sombre ».

[1] Sur ce programme, voir C. Laval et P. Estecahandy, Le Modèle « Un chez soi d’abord » au risque de sa diffusion, Rhizome, 2019/1 n°71, p. 101 à 110.