L’analyse des cheveux peut contribuer au suivi d’addictologie après une intoxication par une Nouvelle Substance Psychoactive

Autres drogues

Les Nouvelles Substances Psychoactives ou Nouveaux Produits de Synthèse (NPS) définissent un large nombre de drogues narcotiques et psychotropes qui ne sont pas (en tout cas, en début de diffusion) réglementées par les conventions des Nations Unies de 1961 et 1971. Ces NPS, dans la plupart des cas, miment les effets des produits stupéfiants classiques (opiacées, amphétamines et cocaïne, cannabis). L’appréhension de ce phénomène sur un plan épidémiologique (quelles substances circulent dans telle ou telle population à un moment donné ?) est difficile car il s’agit d’un marché en perpétuel expansion et renouvellement. Par ailleurs, il existe de nombreux écueils à leur détection analytique dans les milieux biologiques. Enfin, la plupart des consommateurs présentent des conduites addictives impliquant parfois des NPS de natures diverses et fluctuantes.

Cet article se propose d’illustrer l’intérêt des analyses capillaires pour dresser rétrospectivement ce profil de consommations de NPS et constituer ainsi un support à la prise en charge médicale du patient.

Il repose sur le cas de deux patients, victimes d’intoxications aigües par des NPS.

  • Un homme de 34 ans (cas 1) est retrouvé dans le coma, consommateur chronique de substances psychoactives, en sevrage d’opioïdes par 6mg/jour de buprénorphine, et ayant également un traitement par alprazolam, clobazam, paroxétine et zolpidem. Au réveil, il déclare avoir consommé du 5-MeODALT (5MD ; N,N-dialyl-5-méthoxytryptamine, un NPS appartenant au groupe des tryptamines). Du sang et de l’urine ont été collectés à l’admission et 2 mèches de cheveux le lendemain.
  • Un homme de 32 ans (cas 2) est admis aux urgences après avoir sauté par la fenêtre du premier étage. C’est un patient ayant présenté une dépression et de l’anxiété durant la dernière année, une addiction aux substances psychoactives, et une prescription comprenant buprénorphine, baclofène, diazépam, fluoxétine et zopiclone. Il a indiqué avoir inhalé 3 fois de l’alpha-PVP (Alpha-pyrrolidinovalerophenone, une cathinone synthétique aussi connue sous le nom de « flakka ») dans les dernières 24h et un usage répété de celle-ci durant les 8 derniers mois. Sang, urine et cheveux ont également été collectés à l’admission.

 

Matériel et méthodes 

Les analyses des échantillons sanguins et urinaires ont été réalisées par chromatographie liquide avec détection par spectrométrie de masse haute Résolution (CL-SMHR) ou par spectrométrie de masse en tandem (CL-SM/SM) couvrant plus de 1 700 substances (dont plus de 660 NPS et métabolites). Ces analyses incluent également des recherches et/ou dosages spécifiques (éthanol, médicaments, stupéfiants et autre toxiques) à l’aide d’un panel de méthodes variées. Les échantillons de cheveux ont été également analysés par CL-SMHR et CL-SM/SM après segmentation en sections de 2 cm (chaque section correspondant approximativement à une période de 2 mois).

 

Résultats

  • Cas 1 : dans le sang et les urines, il y avait bien présence de 5MD, mais également de diphénidine (DIP ; 1-(1,2-diphényéthyl)-pipéridine), d’un NPS appartenant au groupe des arylcyclohexylamine. Les analyses révélaient également des prises récentes de buprénorphine, clobazam et paroxétine. L’analyse des cheveux a mis en évidence 8 autres NPS : éthylphénidate (EPH), méthiopropamine (MPA), 4-fluoroamphétamine (4-FA), 4-méthyléthylcathinone (4-MEC), méthoxetamine (MXE), alpha-pirrolidinovalerophénone (alpha-PVP), N-éthylbuphedrone (NEB) et UR-144 ((1-pentyl-1H-indol-3-yl),(2,2,3,3-tetramethylcyclopropyl)-methanone).
  • Cas 2 : mis à part l’un de ses métabolites, l’alpha-PVP déclarée n’a pas été détectée dans le sang ou l’urine de la victime. Par contre un autre dérivé d’alpha-cathinone a été mis en évidence : de l’alpha-pyrrolidinohexanophénone (alpha-PHP). L’analyse des cheveux a permis la détection de prises antérieures de 5 autres NPS : alpha-PVP, 4-methylcathinone mephedrone), 3,4-methylenedioxymethcathinone (methylone), dimethyltryptamine (DMT) et kétamine.

 

Discussion

En prenant en compte le fait que les cheveux poussent d’environ 1cm/mois, l’analyse segmentaire permet donc de retracer des expositions à des produits psychoactifs sur plusieurs mois.

Dans le premier cas, l’analyse des cheveux permettait de retracer un historique d’usage de 8 NPS sur une période de 34 mois, une prise de MPA et de 4-FA jusqu’à quelques semaines avant l’intoxication aigue par 5MD et diphénidine. Les autres NPS faisaient l’objet de consommation discontinue et comprenaient 4 stimulants [3 dérivés de cathinone (4-MEC, NEB et alpha-PVP) et 1 dérivé d’amphétamine (EPH)], un dérivé de kétamine (MXE), et un cannabinoïde de synthèse (UR-144). Ce profil de consommation révélait un usage chronique de NPS avec une diminution récente des stimulants au profit d’une augmentation d’utilisation de substances hallucinogènes. Dans les semaines suivant l’intoxication aigüe, confronté à ces résultats au cours de son suivi en addictologie, le patient admettait avoir pris du 5MD avec de l’éthanol et de la buprénorphine juste avant son hospitalisation. Il avoua également avoir eu une consommation de 5MD et DIP tous les 15 jours depuis 6-12 mois et occasionnellement de l’amphétamine (MPA). A la suite de ces résultats le patient a admis un « auto-traitement » (i) de ses troubles dépressifs par des prises quotidiennes de NPS hallucinogènes ou dissociatifs, (ii) de son hyposociabilité par des prises ponctuelles de stimulants, et (iii) de sa libido avec de l’EPH.

Dans le second cas l’analyse des cheveux mettait en avant l’usage de 4 cathinones synthétiques différentes au cours des 14 mois précédents. Dans ses déclarations, le patient mentionnait uniquement l’usage d’alpha-PVP achetée en ligne auprès de différents fournisseurs : il est probable que les différents NPS détectés dans ses cheveux avaient fait l’objet de consommations à son insu, en lien avec l’achat de ces substances indûment présentées comme étant de l’alpha-PVP. Effectivement il est régulier que des produits contiennent un dérivé de cathinone différent de celui annoncé par le vendeur, et parfois même, une substance d’une autre classe de NPS (tryptamine ou arylcyclohexylamine). Enfin, le dernier produit acheté, et consommé, devait être de l’alpha-PHP de haute pureté, qui a conduit à l’intoxication aiguë du patient.

 

Conclusion 

L’analyse de cheveux peut constituer une aide précieuse dans la prise en charge et le suivi des patients en addictologie. Le prélèvement non invasif peut être effectué dans les jours suivants l’intoxication et les résultats disponibles en une quinzaine de jours. Les données fournies par ces analyses capillaires vont faciliter l’instauration du dialogue praticien-patient, participer à l’appréhension des schémas de consommations, et parfois même constituer un outil de réduction des risques en sensibilisant le patient aux possibles différences de produits entre ce qui est annoncé et réellement acheté sur l’Internet.

 

 

Vincent GOMEZ, Delphine ALLORGE et Jean-michel GAULIER

UF de Toxicologie – Centre de Biologie-Pathologie, CHU de LILLE

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