Arrêt du tabac : l’approche par les capabilités

Tabac

L’addictologie est la plus récente des disciplines médicales. Sa jeunesse autorise des propositions évolutives sur la prise en charge des patients. Et si l’approche par les capabilités (liberté pour un individu de choisir un mode de vie auquel il attribue de la valeur) permettait de construire de nouvelles perspectives, notamment dans l’aide à l’arrêt du tabac ?

L’entretien motivationnel, socle des formations en addictologie, a été promu pour favoriser le changement de comportement. Il est cependant établi que l’addiction est une véritable maladie chronique, l’addiction au tabac s’accompagnant spécifiquement de modifications structurelles cérébrales profondes, qui s’aggravent avec l’ancienneté du tabagisme.

Les obstacles majeurs au changement sont de plusieurs ordres : des difficultés de se projeter dans un avenir incertain pour les sujets précaires, des représentations erronées qui persistent dans la population au sujet de la dépendance, des thérapeutiques ou de la rechute, mais aussi de forts obstacles physiopathologiques à quitter l’équilibre cérébral artificiel constitué de longue date.

Le recueil systématique du feed-back des patients fumeurs depuis plusieurs années consécutives sur les leviers les plus impactants pour une mobilisation efficace, a permis de confirmer l’importance cruciale du sentiment de capacité à changer. Au-delà, le concept de « capabilité » vise la faculté objective qu’un individu a de faire des choix et de mener la vie souhaitée, en intégrant la notion d’environnements capacitants.

L’approche par les capabilités, théorème initié par Amartya Sen, économiste indien et anglo-saxon, a connu son développement en sociologie dans les domaines de l’équité et de la justice sociale face à la précarité et/ou au handicap.

Son principe est fondé sur 2 piliers majeurs : la liberté-opportunité (possibilité d’accéder au choix) et la liberté-processus (possibilité d’atteindre ensuite les objectifs visés). Ce concept interroge la notion de liberté réelle, versus celle de liberté formelle ou apparente.

Cet article énonce des propositions d’application concrète : l’accès au choix du changement se base sur l’alliance thérapeutique, mais aussi sur une déculpabilisation proactive, qui cible des accroches spécifiques. L’accès au choix suppose aussi la transmission de points de vue alternatifs sur les bénéfices ressentis à fumer, par l’explicitation des fondements de l’addiction et de la dualité psychique des effets du tabac. La possibilité d’atteindre les objectifs visés s’appuie essentiellement sur le traitement de soutien, précoce et optimisé, soulageant efficacement le craving particulièrement intense dans cette addiction. La progressivité du parcours-patient contribue également au développement solide de la réflexivité : la gestion active de l’ambivalence, guidée par le thérapeute de façon structurée, nourrit la négociation intérieure au profit du changement. L’avènement du pouvoir d’agir va favoriser à son tour l’accroissement de la motivation.

La transposition de ce concept sociologique dans la gestion de l’addiction au tabac, par les auteurs de cet article – respectivement médecin addictologue et universitaire à Bordeaux, et professeur de sociologie à Genève référencé dans les vulnérabilités sociales- est étayée par l’expérience des accompagnements et plusieurs travaux de recherche.

Philippe Arvers 

En savoir plus

Lajzerowicz N., Bonvin J-M. L’approche par les capabilités : un nouveau paradigme en addictologie ? Courrier des addictions n° 1. mars 2024.