Le passage aux urgences : une occasion d’arrêter de fumer efficace, comme le démontre une étude publiée dans le British Medical Journal

Tabac

Photo de camilo jimenez sur Unsplash

Introduction

​Depuis de nombreuses années, Cheryl Cherpitel étudie la place de l’alcool dans les admissions dans les services des urgences aux USA, à la suite d’un accident de la route ou d’un comportement violent. Cependant, il est difficile d’aborder la question de l’alcool chez une personne fortement alcoolisée, lors de son passage dans le service des urgences ou lors de son hospitalisation (1, 2).

En revanche, parler de sa consommation de tabac, c’est plus facile, nous le savons bien. Et nous connaissons bien le conseil minimal tout comme le conseil d’arrêt. Le tabac tue chaque année plus de 8 millions de personnes à travers le monde et 75 000 en France.

Aider les gens à arrêter de fumer est l’une des interventions les plus efficaces pour améliorer la santé. Le service des urgences représente une opportunité potentiellement précieuse de fournir une intervention de sevrage tabagique s’il dispose de ressources suffisantes. Les interventions d’arrêt du tabac intégrées aux services des urgences se sont révélées prometteuses ; cependant, il existe une incertitude quant à l’impact à long terme et aux composantes optimales de l’intervention (3). Des études antérieures menées dans des contextes d’urgence ont évalué le soutien comportemental seul, ou le soutien comportemental combiné à une offre de traitement de substitution nicotinique (TSN). Les preuves montrent que les cigarettes électroniques sont plus efficaces que les TSN pour aider les gens à arrêter de fumer, mais la majorité des preuves des essais proviennent de personnes dans cette situation plutôt que de personnes qui n’ont potentiellement aucune intention préalable d’arrêter (4). Une intervention visant à traiter la dépendance au tabac dans un contexte de service d’urgence à l’aide de cigarettes électroniques n’a pas encore été testée.

Objectifs de l’étude

Dans cette étude, Ian Pope et collaborateurs (Université de Norwich, UK) avaient pour objectif de tester l’efficacité réelle d’une brève intervention de sevrage tabagique adaptée lors du passage aux urgences par rapport aux soins habituels, en comparant l’abstinence tabagique continue à 6 mois de suivi entre les 2 groupes.

L’essai sur l’arrêt du tabagisme dans les services d’urgence (COSTED) est un essai contrôlé randomisé individuel à deux bras, pragmatique et multicentrique, en groupes parallèles, mené dans six services d’urgence du NHS du Royaume-Uni.

Méthodologie

Des adultes (âgés de 18 ans ou plus) qui ont déclaré fumer du tabac tous les jours, se rendre aux urgences pour un traitement médical ou accompagner quelqu’un qui s’y rendait pour un traitement médical ont été recrutés. Les participants ont été dépistés pendant qu’ils étaient aux urgences. Les personnes étaient exclues si elles avaient un taux de monoxyde de carbone (CO) expiré de < 8 parties par million (ppm), si elles avaient besoin d’un traitement médical immédiat, si elles étaient en garde à vue, si elles avaient une allergie connue à la nicotine, si elles étaient actuellement vapo-fumeuses (définies comme une utilisation quotidienne de la cigarette électronique) ou avaient déjà participé à l’essai.

Lorsque la personne accompagnant un patient inclus répondait aux critères d’inclusion et souhaitait participer, elle était recrutée de la même manière que les patients et affectée au même groupe de traitement que le patient qu’elle accompagnait. Ils ont fait l’objet d’un suivi, mais ne sont pas inclus dans l’analyse rapportée dans cet article, car ils n’ont pas été randomisés individuellement (conformément au protocole).

Les participants du groupe d’intervention ont reçu une intervention opportuniste de sevrage tabagique entreprise en face-à-face dans le service d’urgence, comprenant trois éléments : une intervention brève sur le sevrage tabagique (jusqu’à 15 minutes), la fourniture d’une trousse de démarrage pour cigarettes électroniques et des conseils sur son utilisation (jusqu’à 15 minutes) ainsi que des informations pratiques sur les services locaux d’arrêt du tabac.

Les participants du groupe contrôle ont reçu des détails sur les services locaux du NHS pour arrêter de fumer par écrit, mais n’ont pas été référés directement.

Le critère d’évaluation principal de l’efficacité de l’intervention était l’abstinence continue de fumer autodéclarée, validée biochimiquement par la mesure du CO à 6 mois avec un seuil de < 8 ppm.

Le critère d’évaluation principal de l’efficacité était l’abstinence continue de fumer autodéclarée, validée biochimiquement par la surveillance du CO à 6 mois avec un seuil de < 8 ppm.

Les critères de jugement secondaires étaient :

  • la prévalence ponctuelle autodéclarée du tabagisme à 7 jours, à 1 et 3 mois,
  • l’abstinence à 7 jours et à 6 mois,
  • le nombre de tentatives d’arrêt du tabac,
  • le délai de survenue de la rechute (le cas échéant),
  • le nombre de cigarettes par jour,
  • la dépendance à la nicotine,
  • le nombre de fois (par jour) où la cigarette électronique était utilisée,
  • l’incidence de la toux sèche autodéclarée ou de l’irritation de la bouche ou de la gorge,
  • la motivation à arrêter de fumer,
  • l’utilisation autodéclarée des services de soins de santé au cours des 6 derniers mois,
  • l’utilisation autodéclarée des services de sevrage tabagique au cours des 6 derniers mois,
  • la qualité de vie (à l’aide d’un questionnaire).

Résultats

Entre janvier et août 2022, parmi les patients qui passaient par les urgences, 2 888 déclaraient fumer actuellement : 1 443 ont accepté de participer à l’essai, 484 ont ensuite été randomisés dans le groupe d’intervention et 488 dans le groupe contrôle.

L’abstinence continue autodéclarée à 6 mois et vérifiée à l’aide du CO-testeur était de 7,2 % (35/484) dans le groupe d’intervention et de 4,1 % (20/488) dans le groupe contrôle (risque relatif (RR) = 1,76 (IC à 95 % = [1,03 ; 3,01]).

L’abstinence autodéclarée de 7 jours à 6 mois était de 23,3 % (113/484) dans le groupe d’intervention et de 12,9 % (63/488) dans le groupe contrôle (RR = 1,80 ; IC à 95 % = [1,36 ; 2,38] ; p<0,0001).

L’abstinence autodéclarée de 7 jours à 3 mois était de 23,3 % (113/484) dans le groupe d’intervention et de 11.9 % (58/488) dans le groupe contrôle (RR = 1,97 ; IC à 95 % = [1,47 ; 2,6] ; p<0,0001).

L’abstinence autodéclarée de 7 jours à 1 mois était de 19.4% (94/484) dans le groupe d’intervention et de 10.0 % (49/488) dans le groupe contrôle (RR = 1,92 ; IC à 95 % = [1,39 à 2,64] ; p<0,0001).

À 6 mois, le nombre médian de tentatives d’abandon était de 2 (1-4) dans le groupe d’intervention et de 1 (0-3) dans le groupe contrôle (p<0,0001).

Parmi ceux qui avaient répondu, le nombre de participants utilisant une cigarette électronique quotidiennement à 6 mois était de 39,4 % (125/317) dans le groupe d’intervention et de 17,5 % (53/303) dans le groupe contrôle.

Le nombre de personnes déclarant ne pas avoir utilisé de cigarette électronique au cours des 6 derniers mois était de 14,8 % (47/317) dans le groupe d’intervention et de 54,5 % (165/303) dans le groupe contrôle.

Conclusion :

Ces résultats renforcent les conclusions antérieures selon lesquelles les interventions d’arrêt du tabac dans les services d’urgence sont efficaces. Selon les auteurs de cette étude, le taux de sevrage tabagique autodéclaré à 6 mois est le plus élevé rapporté par un essai d’intervention d’abandon du tabac dans les services des urgences à ce jour. En tant que première étude menée dans les services des urgences à inclure un kit de démarrage de cigarette électronique dans le cadre de l’intervention, cela suggère que la cigarette électronique elle-même, en plus de brefs conseils d’arrêt, peut avoir contribué à l’ampleur de l’effet.

Une piste à tester en France maintenant.

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Références bibliographiques

1 Zerhouni O, Bègue L, Brousse G, Carpentier F et al. Alcohol and violence in the emergency room: a review and perspectives from psychological and social sciences. Int J Environ Res Public Health. 2013 Sep 27;10(10):4584-606. doi: 10.3390/ijerph10104584.

2 Chabert J, Lambert C, Cabé J, Cherpitel CJ et al. Could reasons for admission help to screen unhealthy alcohol use in emergency departments? A multicenter French study. Front Psychiatry. 2023 Nov 30;14:1271076. doi: 10.3389/fpsyt.2023.1271076.

3 Lemhoefer C , Rabe GL , Wellmann J  et al . Emergency department–initiated tobacco control: update of a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Prev Chronic Dis 2017;14:E89. doi:10.5888/pcd14.160434.

4 Hartmann-Boyce J , Lindson N , Butler AR et al . Electronic cigarettes for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2022;11. doi:10.1002/14651858.CD010216.pub7.

Dr Philippe Arvers (1,2,3)

1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)

2 – 7ème Centre Médical des Armées (76ème Antenne médicale de Varces)

3 – Institut Rhône Alpes Auvergne de Tabacologie (Lyon)

 

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