“Le troisième indic“ Une enquête d’Alexandre Kauffmann

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Ce récit du grand reporter, mais également romancier, Alexandre Kauffmann, récit publié aux Editions Flammarion, se lit comme une fiction. Et pourtant on est assez loin finalement de l’imaginaire des indicateurs tel qu’on les présente souvent dans les films ou romans policiers. Ici, on ne fait que suivre les petites mains de l’information sans qu’il s’agisse d’aller plus loin que des affaires de dealeurs de rue, de racketteurs, ou d’arnaqueurs de bas étage sans aucune ampleur. Mais c’est peut-être là que tout se joue ou du moins que l’on peut y trouver de l’intérêt. C’est de l’indic à taille humaine, et pour une fois qu’ils ont le rôle principal, pourquoi se priver de leurs aventures, peu glorieuses certes mais à hauteur d’une problématique incontournable, celle de la quête d’informations dans un milieu hermétique, clandestin, ou l’on a vite fait de titiller les marges, aussi bien côté informateurs, policiers, mais aussi, en l’occurrence, journaliste. Le troisième indic ce pourrait bien être Alexandre Kauffmann dans cette affaire-là…

Alexandre Kaufmann a décidé de suivre pendant un an le quotidien de ces informateurs dont le statut est censé être régi par une charte, charte dont un extrait est présenté à chaque en-tête de chapitre, mais qui semble inopérante. Les rapports entre policiers et indics reposent finalement sur des ententes officieuses, des rapports de force et des compromissions de tous les côtés… Le journaliste a suivi deux de ces informateurs dans la capitale parisienne : Lakhdar, un ancien proxénète reconverti dans la vente à la petite semaine de crack, qui tente en renseignant la police de se racheter et surtout de récupérer une carte de séjour qui lui est refusée depuis ses problèmes avec la justice ; et Ayoub, usager régulier de crack, escroc prêt à tout pour quelques euros, et sans mauvaise conscience quand il s’agit de renseigner la police sur ses pairs… Pour ces deux indics, pas question d’entrer dans des considérations éthiques pour agir mais dans une nécessaire adaptation à un environnement hostile. C’est chacun pour soi, chaque jour suffit sa peine, et si l’on doit dénoncer ses collègues pour sauver sa peau, alors aucune raison de se poser des limites et d’avoir des scrupules, presque malvenus. La concurrence est rude, alors si l’on peut aider à faire le ménage, pourquoi s’en priver…

Le journaliste nous explique qu’il est très compliqué d’encadrer ce rôle d’informateur, et que vouloir légiférer est bien utopique. Le travail de ces tontons repose sur des angles morts, sur cette zone grise de droits et de non droit finalement presque aussi confortable pour les policiers que pour les “tontons“, comme on les appelle encore. On peut le regretter mais le constat est implacable à la lecture de cette enquête. Le système est ainsi fait qu’il ne repose que sur du donnant donnant, la compromission, et les petits arrangements entre “amis“ ou “ennemies“ et que les plus forts y trouvent leur compte et imposent leur manière de faire au détriment de ceux qui subissent, et reproduiront à l’occasion, quand ils seront aux affaires, les mêmes procédés utilisés des deux côtés de la loi, et ce afin de reprendre un peu de contrôle et de pouvoir,… 

D’un rôle d’observateur, Alexandre Kauffmann finit par avoir un rôle d’acteur ou du moins de complice. Il reconnaît avoir été sûrement manipulé, et par les indicateurs qu’il suivait et même par les forces de police qui ont profité de son positionnement pour en savoir plus… On ne peut vouloir enquêter sur un tel milieu, sans réellement rester à distance, au risque alors de ne pas aller bien loin… Le récit du journaliste est aussi finalement un mea culpa…

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