Parce que soumis à tous ces risques, les usagers devraient avoir facilement accès à des lieux de soins pour prévenir l’apparition ou l’aggravation de ces dommages. Or, un grand nombre d’usagers de drogues injectables décrivent un vécu de stigmatisation voire de rejet par rapport aux pratiques d’injection, y compris dans les centres de soins. Cette situation diminue leurs recours aux soins.
Dans cette étude effectuée aux États-Unis d’octobre 2016 à octobre 2017, l’impact de la stigmatisation dans le recours aux soins a été étudié chez 33 usagers de méthadone, héroïne et cocaïne. 88% d’entre eux ont décrit un vécu de stigmatisation, un sentiment de jugement de la part des soignants, et une qualité de prise en charge inférieure à celle d’autres patients. Les volontaires de l’étude ont rapporté être plus volontiers soupçonnés de majorer intentionnellement l’intensité de leur douleur pour avoir plus de traitements antalgiques que nécessaire, et plus souvent considérés comme des personnes à la recherche de comportements à risque, n’accordant pas de valeur à leur santé.
Afin d’éviter les sentiments de honte et de gêne en résultant, les volontaires de l’étude anticiperaient la stigmatisation dans les structures de soin, établissant diverses stratégies pour éviter ce vécu déplaisant. Parmi les stratégies les plus évoquées, on trouve le report de soins, la dissimulation de l’usage de substances injectables, la minimisation de la douleur réelle donc du besoin réel en antalgiques, la recherche de structures alternatives comme des centres de plus petite taille, des programmes de délivrance de seringues, des centres de dépistage du VIH et de l’hépatite C.
Les résultats de cette étude concernent un petit nombre d’usagers, cependant ils ont été retrouvés dans d’autres études, dans plusieurs villes. Pour éviter la stigmatisation de ces populations, leur offrir un accès plus facile aux soins, et des soins de meilleure qualité, il faudrait à la fois élargir l’offre de soins (centres plus petits ou plus spécialisés) mais également mieux former les professionnels de santé aux addictions. Ce n’est pas évoqué dans l’article, mais la place de plus en plus importante des usagers pairs dans l’éducation des patients, mais aussi la formation des soignants pourrait être un moyen permettant de faire reculer les stéréotypes et les contre-attitudes des soignants. Reste à savoir comment se fera l’accueil initial dans les hôpitaux généraux et structures de soins non spécialisées d’usagers pairs avec un histoire plus ou moins récente d’usage d’héroïne. Ce n’est pas certain que cela ne suscite pas des réactions de peur et de rejet, et qu’il faudra toute la force de persuasion des équipes addictologiques pour préparer leur accueil dans ces structures.
Car on dit parfois que l’on a peur avant tout de ce qu’on ne connait pas.
Julia DE TERNAY, Interne en psychiatrie à Lyon
Benjamin ROLLAND, Service Universitaire d’Addictologie de Lyon