Maintenir l’adhésion thérapeutique des patients souffrant d’addictions et de trouble de personnalité limite

Toutes les addictions

Les études montrent que le trouble de l’usage de substances (TUS) et le trouble de personnalité limite (TPL) sont très souvent comorbides : 57% des TPL ont un TUS2, et 5 à 32% des TUS ont un TPL3 4. Or, on sait que le TPL engendre un fort taux d’abandon de thérapie, notamment à 3 mois (67%), comparé aux autres troubles de personnalité (38%) ou à la schizophrénie (14%)5. Quand le TPL est comorbide à un TUS, le taux d’abandon est encore plus important. Travaillant dans un centre spécialisé en addictions et troubles de personnalité, les auteurs de cet article ont cherché à savoir comment maintenir ces patients en thérapie. Or, la seule psychothérapie ayant étudié spécifiquement la comorbidité TUS & TPL est la Thérapie Comportementale et Dialectique (TCD). Cette thérapie utilise 3 types de techniques pour conserver l’adhésion de ces patients.

I- Techniques d’engagement

Défini en 1983 par Prochaska et DiClemente, l’engagement représente la motivation au changement du patient. La TCD cible cet engagement grâce à 8 techniques utiles dans des moments différents.

1) Evaluation pour & contre : consiste à demander à son patient les avantages et les inconvénients d’un comportement. Elle est particulièrement utile pour éviter une confrontation entre thérapeute et patient apparaissant quand le thérapeute cherche à tout prix à argumenter pour un côté ou un autre.

2) Avocat du diable : consiste à prendre une position extrême, afin que le patient endosse la position opposée. Par exemple, le thérapeute peut s’opposer à la thérapie en soulignant le manque de motivation du patient, ce qui peut pousser le patient à démontrer en quoi il est motivé.

3) Porte dans le nez et pied dans la porte : ces deux techniques proviennent de la psychologie sociale.

– La porte dans le nez consiste d’abord à formuler une demande déraisonnable, en s’attendant à ce qu’elle soit rejetée, afin de formuler ensuite une demande moins importante. Par exemple, proposer d’arrêter complètement une addiction, avant de proposer une interruption d’une seule journée.

– A l’inverse, le pied dans la porte implique que le thérapeute formule des demandes d’exigence croissante. Par exemple, un thérapeute peut demander à un patient de n’assister qu’à la prochaine séance de la thérapie. Puis, une fois cette demande satisfaite, il peut demander au patient de pratiquer une stratégie d’adaptation pendant une semaine pour arrêter de fumer.

4) Générer de l’espoir : consiste à expliquer en quoi la TCD est efficace en partageant son expérience clinique, et en parlant des études ayant prouvé son efficacité.

5) Mettre en lumière la liberté de choisir et « l’absence d’alternatives » : consiste à reconnaitre la liberté d’action de chacun, tout en montrant les risques à s’engager dans un comportement donné. Par exemple, on peut admettre à son patient qu’il peut conduire alcoolisé s’il le souhaite, tout en précisant qu’il risque de tuer une personne, perdre son permis et sa voiture, finir en prison…

6) Le façonnage : consiste à se mettre au niveau de son patient en renforçant ses petits progrès, même si on souhaiterait que la progression soit plus rapide.

7) Obtenir un engagement explicite : consiste à demander trois engagements majeurs verbaux et/ou écrits aux patients : éviter de mettre volontairement sa vie en danger (tentatives de suicide, automutilations, surdosage…), travailler sur les comportements qui interfèrent avec la thérapie, et participer à la TCD pendant une durée déterminée.

8) Clarifier les attentes : les divergences entre les attentes du patient et celles du thérapeute étant une cause majeure d’abandon de thérapie6 7, cette technique vise à prévenir le risque de déception des patients en détaillant le processus thérapeutique.

II- Alliance thérapeutique

Définie en 1979 par Bordin, l’alliance thérapeutique renvoie au lien collaboratif et affectif entre thérapeute et patient. En TCD, cette alliance est favorisée par 3 techniques différentes.

1) Validation : consiste à montrer au patient qu’on comprend ses émotions. Elle se décompose en 6 niveaux. Le niveau 1 est l’écoute, via des questions et la posture non-verbale. Le niveau 2 est la reformulation. Le niveau 3 consiste à décoder, c’est-à-dire identifier des choses que le patient n’a pas dit explicitement. Le niveau 4 consiste à historiciser, c’est-à-dire relier les émotions du patient avec son passé. Le niveau 5 consiste à contextualiser, c’est-à-dire relier ses émotions avec des évènements présents. Enfin, le niveau 6 consiste à partager, c’est-à-dire transmettre ses impressions et son expérience.

2) Disponibilité du thérapeute : dans la TCD, le thérapeute peut proposer une disponibilité téléphonique en cas de crise afin de généraliser les compétences apprises en séance.

3) Gestion de cas : consiste à aider le patient à gérer son environnement physique et social. Par exemple, l’aider à trouver un moyen de transport pour se rendre aux rendez-vous, ou l’appeler en cas d’absence à une séance.

III- Cibler l’intolérance à la détresse

Définie en 1996 par Hayes, l’intolérance à la détresse exprime l’incapacité à persister dans des comportements dirigés vers des buts. En TCD, cette intolérance est ciblée au cours de deux modules. Le premier module est la pleine conscience, il consiste à prendre conscience de ses pensées et émotions sans les juger. L’autre module est la tolérance à la détresse, il consiste à supporter un moment de forte émotion sans empirer la situation en mettant en pratique différents types de compétences (distraction, relaxation, acceptation…).

Conclusion

Ces techniques permettent à la TCD de maintenir l’adhésion des patients avec TPL et TUS. Ainsi, le taux de perdus de vue sur 1 an n’est que de 36% pour la TCD, alors qu’il est de 73% avec le traitement habituel8. A Strasbourg, la TCD est déjà pratiquée en psychiatrie depuis 2 ans avec des résultats très encourageants, par exemple une diminution importante des consommations de substances à 1 an9.

Au vu de toutes ces études, nous avons donc décidé de proposer cette psychothérapie en addictologie au CHU de Strasbourg à partir de 03/2021.

Amaury DURPOIX – Interne DES de psychiatrie, CHU de Strasbourg – Formation Spécialisée Transversale d’Addictologie

Dr Louis-Marie D’Ussel – Référent addictions comportementales, TCA, des jeux vidéo et des JHA au CHU de Strasbourg, Service d’Addictologie

Pr Laurence Lalanne – Responsable du service d’addictologie du CHU de Strasbourg

Bibliographie

1) Bornovalova et Daughters. How does dialectical behavior therapy facilitate treatment retention among individuals with comorbid borderline personality disorder and substance use disorders? Clin Psychol Rev (2007).

2) Trull et co. Borderline personality disorder and substance use disorders: a review and integration. Clin Psychol Rev (2000).

3) Bigelow et co. Psychiatric and substance use comorbidity among treatment-seeking opioid abusers. Arch Gen Psychiatry (1997).

4) Gunderson et co. Personality disorders in cocaine dependence. Compr Psychiatry (1993).

5) Skodol AE, Buckley P, Charles E. Is there a characteristic pattern to the treatment history of clinic outpatients with borderline personality? J Nerv Ment Dis (1983).

6) Duehn & Proctor. Initial clinical interaction and premature discontinuance in treatment. American Journal of Orthopsychiatry (1977).

7) Reis, & Brown. Reducing psychotherapy dropouts: Maximizing perspective convergence in the psychotherapy dyad. Psy-chotherapy (1999).

8) Linehan. Dialectical Behavior Therapy for patients withborderline personality disorder and drug-dependence. American Journal on Addictions (1999).

9) Durpoix, Weiner, Bemmouna, Lachaux, Weibel. La thérapie comportementale dialectique par-delà les frontières diagnostiques : évaluation d’un groupe transnosographique à 1an. En cours de publication au French Journal of Psychiatry (poster présenté au eCFP 2020).