Période à risque ou non. La saison estivale influe-t-elle sur la consommation de produits psychoactifs ?

Toutes les addictions

La réponse est oui… Et non ! Incontestablement l’été symbolise ce que nous nommions il y a quelques années, les grandes vacances. Même si désormais le format des vacances a évolué, que la durée des congés est devenue variable, que les temps de repos sont parfois pris en pointillés, ventilés sur non plus un seul mois, mais bien sur toute une saison … Un fait ne bouge pas, l’été n’est pas une saison comme les autres.

Les activités sociales et sportives ferment ou se font plus limitées, l’accès aux soins en hôpitaux est moins fluide, l’heure est à la pause, à la détente pour bon nombre d’organisations et de salariés.

En miroir, l’été est aussi une période où se multiplient les grands rassemblements culturels et populaires : festivals, concerts, fêtes….

L’été est une saison pour ceux qui ont l’opportunité de partir en vacances, où l’attention se porte davantage sur la fête, la famille, les amis, le lâcher prise, et ce, quels que soient les lieux de villégiature. Pour ceux qui restent, l’été peut être vécu comme une période précarisante, d’isolement qui exacerbe anxiété et peurs.

Selon les comportements (consommation ou addiction), le contexte, la situation, l’été peut être une période à risque, mais aussi un moment idéal pour limiter sa consommation de produits psychoactifs. Un même constat est fait toutefois par les professionnels et les acteurs qui agissent à prévenir les conduites addictives, la saison estivale est une période idéale pour la prévention, on vous explique pourquoi !

Une période à risque liée à de très fortes sollicitations

À la question l’été est-elle une saison à risque ou davantage propice à l’arrêt des conduites addictives, Nicolas Cabé, addictologue, chef de clinique des universités-assistant des hôpitaux en psychiatrie et addictologie au CHU de Caen, apporte une nuance entre consommation et addiction. Selon lui, l’été est incontestablement une saison à très hautes sollicitations pour la consommation d’alcool. Tout le monde est confronté à un marketing particulièrement agressif durant cette période, avec qui plus est une offre d’alcools plus importante (bières fraîches, cocktails aromatisés…). Les consommateurs comme les personnes addicts, tout le monde subit cette pression marketing plus forte.

La rupture du quotidien et des habitudes, la perte de cadencement entre semaines et week-ends (certaines personnes ne consomment de l’alcool que le week-end pendant l’année) peut entraîner une perte de repères, et l’augmentation de la consommation de produits psychoactifs. Sans parler de l’aspect lâcher prise lié à la notion de vacances, beaucoup se relâchent ou baissent la garde, et sont plus enclins à augmenter leur consommation.

Pour les personnes malades, addictes à l’alcool, les périodes estivales peuvent être vécues comme des périodes de grands vides émotionnels. De nombreuses activités cessent, les accompagnements médicaux se ralentissent (hôpitaux de jour qui ferment) impactant de plein fouet toute une frange de la population confrontée à l’ennui, à l’isolement.

Avec comme conséquence, un risque accru que les consommations augmentent pour compenser le stress lié à cette période de fragilité.

Une période propice au questionnement et peut-être à l’arrêt de conduites addictives

L’été peut aussi être un moment propice pour arrêter ou ralentir sa consommation.

Comme toute période de changement, elle peut en effet faire émerger des questionnements quant à sa consommation et s’avère idéale pour le repérage des conduites addictives. Le fait de rompre avec le quotidien, les habitudes (l’addiction est en grande partie une maladie des habitudes, des automatismes), de casser la routine peut faire naître des interrogations et pousser à se questionner sur sa relation à l’alcool, ou à tout autres produits psychoactifs « Est-ce que même en cassant mon rythme quotidien mes consommations restent systématiques ? N’ont-elles pas un caractère impératif que je n’avais pas perçu dans l’année ? En changeant d’environnement cela impacte-t-il réellement ma consommation ? Est-ce que je peux faire la fête sans qu’il y ait de l’alcool ? …»

Une période idéale pour la prévention primaire

Ici aussi il est nécessaire de différencier consommation et addiction… « J’ai l’impression que dans la population générale, les consommations ont tendance à augmenter pendant l’été, je ne suis pas certain que cela soit le cas pour les patients dépendants. En effet assez souvent les vacances d’été leur permettent d’être un peu plus avec leurs familles, ils calment leurs consommations, ressentent moins de stress, la dépendance psychologique liée au mal être peut être réduite. En revanche, pour les patients dépendants très désinsérés et donc isolés, le fait que l’accompagnement médical soit plus léger durant l’été peut les amener à une rechute plus importante » souligne Nicolas Cabé.

Globalement, l’été est davantage le lieu de la prévention plutôt que du soin en tant que tel. Une prévention primaire qui permet à chacun de se questionner sur ses propres rapports à la consommation et aux produits. En résumé, si l’été n’est pas un bon moment pour engager des soins spécifiques et intensifs, c’est en revanche une période idéale pour sensibiliser, prévenir. Une démarche qui s’incarne dans bon nombre d’actions menées sur le terrain.

« Respirez c’est l’été », prévenir la consommation de tabac sur les plages et les espaces publics

Une action majeure menée par Addictions France en partenariat avec la Ligue contre le cancer, visant à multiplier la prévention sur le terrain pendant l’été. Des opérations qui se déroulent au cœur des grands rassemblements (festivals, concerts…) mais aussi sur les plages (plages sans tabac) et dans certains espaces privés et publics.

Une prévention tournée vers tous les publics, des plus jeunes (prévention primaire concernant la consommation de la puff, cigarette électronique jetable contenant de la nicotine consommée par les 13/14 ans), aux plus anciens, en passant par les familles, les touristes, les habitants locaux.

Les équipes de « Respirez c’est l’été » déambulent sur les plages pour « aller à la rencontre de », et ce, afin de sensibiliser simplement sans insistance. Éducateurs, jeunes en service civique, professionnels en addictologie créent ainsi un premier lien, un premier échange autour de la consommation du tabac. Pas d’intrusion, ni de jugements, juste de la prévention et des partages d’informations. Pour ceux désirant aller plus loin, et entamer à leurs retours de congés un parcours de soin, les coordonnées des CSAPA les plus proches de leurs domiciles (Centre de Soin d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) leurs sont communiquées.

Les plages non-fumeurs font un tabac en France

À l’initiative de la ligue contre le cancer, et en partenariat avec les collectivités territoriales, le label « Espace sans tabac » a été lancé pour la première fois en 2012, à Nice. Depuis, la ville a étendu son action à 4 plages, puis de nombreuses autres stations balnéaires lui ont rapidement emboîté le pas, telles : Cannes, Marseille, Fréjus, Toulon, Six-Fours-les-Plages, La Croix-Valmer, Cagnes-sur-Mer, Bandol pour la Côte d’Azur. Côté Atlantique, les oriflammes non-fumeurs sont visibles sur les côtes allant de Biarritz à Ouistreham, et même aux Sables d’Olonne depuis 2022.

La prévention primaire sur les festivals et les événements culturels estivaux

Notre partenaire, l’association Avenir Santé engagée pour la santé des jeunes, intervient également sur les festivals avec des espaces de prévention. Du matériel de prévention (éthylotests, roule ta paille, toncar, préservatifs, bouchons d’oreille…) est mis à disposition des festivaliers. Des conseils et informations sont partagés par les équipes terrain, chargées de l’animation et de la prévention. Pour l’association, cette présence in situ durant ces grands rassemblements, est l’occasion de créer du lien, de nouer un premier contact favorable au dialogue et au questionnement autour des consommations à risques et de leurs effets.

Pour conclure, retenons que la saison estivale est l’occasion de nombreuses actions de prévention primaire se succédant auprès de différents publics et sur variété de lieux. Plages, espaces publics, ou accueillant enfants et adolescents, grands événements et rassemblements culturels… Des initiatives qui favorisent le dialogue, la sensibilisation, le partage d’informations, le non-jugement, une prise de conscience sur les différents risques liés aux conduites addictives, sur la relation entretenue avec les produits psychoactifs….

Et aussi, un premier pas vers le soin et l’accompagnement par des professionnels qualifiés.

Muriel Gutierrez (Amande épicée)