Place de la cigarette électronique et des substituts nicotiniques dans le sevrage tabagique de la femme enceinte : un essai contrôlé randomisé au Royaume-Uni publié début 2024 démontre la supériorité de la vape.

Tabac

Introduction

L’efficacité de la vape dans le sevrage tabagique n’est plus à démontrer (1), comme nous l’avons déjà précisé dans un article récent sur le site d’Addict’AIDE : « des données probantes d’un niveau de preuve élevé suggèrent que les cigarettes électroniques avec nicotine sont associées à des taux d’abandon 2,4 fois plus élevés que le contrôle. »

Chez la femme enceinte, le rapport conjoint de la Société française de gynécologie-obstétrique (SFGO) et de la Société francophone de tabacologie (SFT) publié en 2020 (2) avait consacré un petit chapitre intitulé « Autres méthodes de consommation pendant la grossesse : cigarette électronique, tabac chauffé, chicha et snus ». La conclusion était la suivante : « il est recommandé de déconseiller l’initiation ou la poursuite des produits de vapotage pendant la grossesse ».

Lors du congrès INFOGYN2021, qui s’était déroulé à Pau en 2021, j’avais tenu à séparer la vape d’une part aux produits du tabac (tabac chauffé, chicha et snus) d’autre part dans la session consacrée à l’addictologie.

L’efficacité de la vape pendant la grossesse a fait également l’objet d’une méta-analyse de la Cochrane Library publiée en 2022 par Jamie Hartmann-Boyce et al. (3) Une supériorité de l’efficacité de la vape de 63% par rapport aux patchs à la nicotine (TSN) a été démontrée.

D’autres études ont étudié l’efficacité de la vape pendant la grossesse, ainsi que l’absence de retentissement sur le développement du fœtus et l’absence de retard staturo-pondéral.

  • En 2020, McDonnell et al. ont suivi une cohorte de femmes enceintes irlandaises (4), 218 vapoteuses exclusives et 195 vapo-fumeuses, pendant leur grossesse : le poids de naissance des enfants de vapoteuses était identique à celui des enfants des non-fumeuses (3470 ± 535 grammes vs 3471 ± 504 grammes), alors qu’il était supérieur à celui des enfants des fumeuses de tabac (3470 ± 535 grammes vs 3166 ± 502 grammes).
  • En 2023, Wen et al. (5) ont suivi une cohorte de 10 428 adolescentes enceintes (72,7% avaient 18 ou 19 ans) pendant les 3 derniers mois de leur grossesse : 1,5 % de l’échantillon total utilisait exclusivement des cigarettes électroniques, 7,3 % utilisait exclusivement des cigarettes, 1,2 % utilisait des cigarettes et des cigarettes électroniques, et les 90,1 % restants n’utilisaient aucun de ces produits en fin de grossesse. Si le risque d’accouchement d’enfants avec un petit poids de naissance était plus de 2 fois plus élevé chez les adolescentes qui consommaient exclusivement des cigarettes en fin de grossesse que chez celles qui n’en fumaient pas, il n’y avait pas d’association statistiquement significative entre l’utilisation de la cigarette électronique chez les adolescentes en fin de grossesse et le risque d’accouchement d’enfants avec un petit poids de naissance​.

Objectifs de l’étude

Peter Hajek et ses collaborateurs (Queen Mary University of London, London, UK) avaient déjà réalisé un vaste essai contrôlé randomisé (essai PREP) comparant la vape et les patchs à la nicotine administrés aux fumeuses enceintes (6). Concernant l’arrêt du tabac, les résultats ont été affectés par l’utilisation de la cigarette électronique dans le bras « traitement de remplacement de la nicotine (TRN) ». Lorsque cela était contrôlé, les CE étaient plus efficaces que les TRN dans tous les critères d’efficacité. En ce qui concerne la sécurité du produit, les deux groupes d’étude ne différaient pas en termes d’issues de grossesse, à l’exception d’un faible poids à la naissance, qui était moins fréquent dans le groupe EC.

Francesca Pesola et collaborateurs présentent ici une analyse secondaire de cet ensemble de données qui, au lieu de comparer les groupes randomisés, compare les résultats chez les participantes qui ont utilisé et n’ont pas utilisé régulièrement ces deux produits à base de nicotine pendant leur grossesse.

Le but de cette étude était d’examiner la sécurité des cigarettes électroniques et des substituts nicotiniques (TSN) lorsqu’ils sont utilisés pour aider les fumeuses enceintes à arrêter de fumer.

Méthodologie

Les femmes enceintes motivées à arrêter de fumer ont été randomisées pour recevoir soit des patchs à la nicotine, soit une vaporette et ont reçu jusqu’à six appels d’assistance téléphonique hebdomadaires. Elles ont été recontactées à 35 semaines de gestation (fin de grossesse). Un suivi supplémentaire collectant des données de sécurité a été effectué 3 mois après l’accouchement.

L’objectif était de comparer les femmes qui utilisaient ou non des vaporettes ou des TSN (patchs de nicotine) régulièrement pendant leur grossesse dans les domaines suivants :

  • Modifications des taux de cotinine salivaire à la fin de la grossesse par rapport au départ, pour voir si l’utilisation du produit augmentait ou diminuait l’apport en nicotine par rapport au tabagisme ;
  • Caractéristiques de base, pour identifier les variables associées à une telle utilisation, afin de pouvoir les contrôler ;
  • Poids à la naissance et autres problèmes à la naissance (accouchement prématuré, enfant mort-né, en particulier), pour voir si l’utilisation du produit présentait des risques ou annulait les avantages de l’arrêt du tabac ;
  • Symptômes respiratoires chez les femmes, pour vérifier la découverte contre-intuitive précédente de meilleurs résultats respiratoires avec l’utilisation de la vape ;
  • Taux de rechute du tabagisme chez les abstinentes précoces. Si l’utilisation du produit augmentait le risque de rechute, cela représenterait un résultat négatif en matière de sécurité.

1 140 femmes enceintes (12 à 24 semaines de gestation) fumeuses quotidiennes, souhaitant de l’aide pour arrêter de fumer, n’ayant pas de préférence marquée pour la vaporette ou les TSN et n’utilisant pas actuellement ces produits ont été incluses dans cet essai clinique. Parmi elles, 1095 participantes ont été retenues.

Voici le détail concernant les 2 groupes étudiés :

  • dans le groupe des vapoteuses, les participantes avaient reçu un kit de démarrage rechargeable (One Kit du UK Ecig Store ; Wembley, Royaume-Uni) et deux bouteilles de 10 ml d’e-liquide aromatisé au tabac (18 mg/ml de nicotine). D’autres approvisionnements en e-liquide ont été postés sur demande pour une durée pouvant aller jusqu’à 8 semaines. Il a été demandé aux participantes de se procurer et de payer toutes les fournitures après 8 semaines.
  • dans le groupe TSN (), les participantes avaient reçu un approvisionnement initial de 2 semaines de patchs de nicotine Nicorette Invisi 15 mg/16 heures. D’autres fournitures ont été postées sur demande pendant une période pouvant aller jusqu’à 8 semaines. Les participantes avaient été encouragées à accéder à d’autres fournitures de patchs et/ou d’autres produits TSN via leur médecin généraliste ou le service local d’arrêt du tabac. Au Royaume-Uni, les fumeuses enceintes reçoivent gratuitement des TSN.

Résultats

Le recours à la vaporette était plus fréquent que le recours aux TSN (47,3 % vs 21,6 %, p < 0,001). Les femmes ayant arrêté de fumer en utilisant la vaporette en fin de grossesse ont réduit leur cotinine salivaire de 45 % [49,3 ng/ml, intervalle de confiance (IC) à 95 % = −79,8 à −10]. Une seule abstinente a utilisé les TSN à la fin de sa grossesse.

Chez les vapo-fumeuses, la cotinine a augmenté de 19 % (24 ng/ml, IC à 95 % = 3,5–68). Chez les femmes déclarant une réduction d’au moins 50 % de leur consommation de cigarettes, les taux de cotinine ont augmenté de 10 % chez celles qui utilisaient des produits à base de nicotine et de 9 % chez celles qui n’en utilisaient pas.

Le poids à la naissance des enfants de vapo-fumeuses et de fumeuses exclusives de tabac était le même (3,1 kg).

Le poids à la naissance des abstinentes utilisant l’un ou l’autre produit à base de nicotine était plus élevé que celui des fumeuses [3,3 kg, écart type (SD) = 0,7] contre 3,1 kg, SD = 0,6 ; différence = 0,15 kg, IC à 95 % = 0,05–0,25) et non différent des abstinentes n’utilisant pas de produits à base de nicotine (3,1 kg, SD = 0,8).

Les abstinentes et les fumeuses utilisant des produits à base de nicotine n’ont pas eu plus de problèmes de grossesse ni plus d’événements indésirables que les abstinentes et les fumeuses qui n’en utilisaient pas.

Les utilisatrices de vaporettes ont signalé plus d’améliorations que les non-utilisatrices en matière de toux [risque relatif ajusté (aRR)  = 0,59, IC à 95 % = 0,37-0,93] et de mucosités (aRR = 0,53, IC à 95 % = 0,31-0,92), en contrôlant le statut tabagique.

L’utilisation de la vape ou des TSN n’avait aucun lien avec la rechute.

Conclusions

A fin d’éviter de voir des femmes enceintes hésiter à arrêter de fumer pendant leur grossesse en passant à la vape (absence de recommandations du HCSP en 2021), ou de reprendre la cigarette sur recommandation de leur gynécologue-obstétricien (plutôt que de vapoter), cet essai clinique montre à nouveau que vapoter pendant la grossesse n’entraîne pas de diminution du poids de naissance de leur enfant.

Nous attendons avec impatience la mise à jour des recommandations de bonne pratique de la Haute autorité de santé prévue pour cette année.

 

Références bibliographiques

1 Lindson N et al. Pharmacological and electronic cigarette interventions for smoking cessation in adults: component network meta-analyses. Cochrane Database Syst Rev. 2023 Sep 12;9(9):CD015226.

2 Grangé G et al. Rapport d’experts et recommandations CNGOF-SFT sur la prise en charge du tabagisme en cours de grossesse—texte court, Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie , Volume 48, Issues 7–8, 2020, Pages 539-545.

3 Hartmann-Boyce J et al. Electronic cigarettes for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev. 2022 Nov 17;11(11):CD010216.

4 McDonnell BP, Dicker P et Regan CL. Electronic cigarettes and obstetric outcomes: a prospective observational study. BJOG. 2020 May;127(6):750-756.

5 Wen X et al. Use of E-Cigarettes and Cigarettes During Late Pregnancy Among Adolescents. JAMA Netw Open. 2023 Dec 1;6(12):e2347407.

6 Hajek P, Przulj D, Pesola F, Griffiths C, Walton R, McRobbie H, et al. Electronic cigarettes versus nicotine patches for smoking cessation in pregnancy: a randomized controlled trial. Nat Med. 2022; 28: 958–964.

Dr Philippe Arvers (1,2,3)

1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)

2 – 7ème Centre Médical des Armées (76ème Antenne médicale de Varces)

3 – Institut Rhône Alpes Auvergne de Tabacologie (Lyon)

 

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