Si les femmes consomment en moyenne moins d’alcool que les hommes, leur corps y réagit différemment. À dose équivalente, les effets sont souvent plus rapides, plus intenses et plus durables. En cause : des spécificités biologiques, encore méconnues du grand public. « Leur organisme contient moins d’eau et les enzymes métabolisant l’alcool sont moins actives », résume le Dr Romain Gomet, médecin addictologue1 à l’hôpital Albert Chenevier de Créteil.
Mais cette sensibilité accrue ne s’arrête pas au plan physiologique. Elle s’inscrit aussi dans une réalité sociale et psychologique, où l’alcool peut devenir un moyen de faire face à des situations complexes. C’est tout cela que les professionnels de santé appellent aujourd’hui la vulnérabilité féminine face à l’alcool.
Des facteurs de vulnérabilité multiples
La vulnérabilité des femmes face à l’alcool ne s’explique pas uniquement par des raisons biologiques. Elle est aussi liée à des fragilités psychologiques plus fréquentes, comme l’anxiété ou la dépression, et à des contextes de vie parfois plus exposés : précarité, isolement, charge mentale, violences subies… Autant de réalités qui peuvent favoriser un usage problématique.
Certaines périodes de vie comme la grossesse, le post-partum ou la ménopause peuvent amplifier cette vulnérabilité. D’autres facteurs, d’ordre psychique ou traumatique, s’y ajoutent. « On retrouve fréquemment des traumatismes dans l’histoire des patientes, notamment des violences sexuelles. L’alcool devient alors une manière de tenir le coup, de s’anesthésier. Les troubles du comportement alimentaire sont aussi quatre fois plus fréquents chez les femmes. Ils ne sont pas les troubles les plus fréquemment associés à l’addiction — la dépression, par exemple, est plus courante —, mais ils participent à une vulnérabilité psychique qu’il ne faut pas négliger », analyse le Dr Gomet.
Le Dr Marie-Olivia Chandesris, cheffe de projet à la Haute Autorité de santé (HAS), souligne également le poids du quotidien : « L’alcool devient alors une façon de supporter une vie trop lourde à porter seule. »
Des usages qui évoluent
Si les femmes consomment globalement moins d’alcool que les hommes, les écarts tendent à se réduire. « Les usages à risque, notamment le binge drinking (alcoolisation ponctuelle importante en un court laps de temps), augmentent, y compris chez les adolescentes », souligne le Dr Chandesris. En 2024, 34 % des jeunes filles de 17 ans déclaraient une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois.
Ces comportements se retrouvent aussi chez les femmes actives, y compris dans les catégories socio-professionnelles élevées. « Cette évolution ne doit pas faire oublier que les femmes restent plus fragiles face aux effets de l’alcool », insiste le Dr Gomet. Même des consommations faibles ou modérées peuvent être nocives. La vigilance reste donc essentielle.
Alcool au féminin : un tabou persistant
Le tabou demeure. « Une femme qui boit est souvent perçue comme une mauvaise mère ou une personne instable, ce qui génère du silence et retarde la demande d’aide », déplore le Dr Chandesris.
Ce regard social pèse également sur la relation avec les soignants. « Certaines redoutent d’être jugées ou signalées, notamment quand elles sont mères », constate le Dr Gomet. Pour les rassurer, il est essentiel que les professionnels expliquent clairement que demander de l’aide ne signifie pas perdre la garde de ses enfants. « Le rôle du soignant est d’accompagner, pas de sanctionner. Lorsqu’un lien de confiance est établi, les femmes peuvent exprimer leurs difficultés sans crainte », souligne-t-il. Résultat : beaucoup consultent tardivement, alors que des aides existent.
Quels signes permettent de suspecter un trouble de l’usage d’alcool ?
La prévention de la dépendance à l’alcool chez les femmes repose aussi sur la capacité à détecter des signaux d’alerte :
• augmentation des quantités ou de la fréquence,
• consommation en solitaire,
• isolement,
• irritabilité,
• troubles du sommeil,
• perte d’intérêt pour les activités habituelles,
• mise en danger
• baisse des performances professionnelles.
Des signaux plus discrets peuvent également se manifester : fatigue persistante, perte d’appétit, humeur triste, repli sur soi ou propos pessimistes. « Il ne faut pas attendre de toucher le fond pour consulter », insiste le Dr Gomet.
1Auteur du livre <i>Je maîtrise ma consommation d’alcool aux éditions Ellipses</i>.
En savoir plus : www.harmonie-sante.fr.