La mise sous ordonnance de la codéine devait empêcher les ados de consommer leur « lean » (mélange de codéine et de sprite), mais elle a déstabilisé une autre population, adulte et dépendante à la codéine souvent depuis des années. Elle s’en servait comme anti-douleur, mais aussi comme béquille anxiolytique ou comme TSO (Traitement de Substitution Opiacé).
En témoigne Muriel qui l’utilise contre des migraines : « J’ai toujours eu des maux de tête, même gamine. Il y a 7 ou 8 ans, j’appelle SOS médecin pour une migraine qui m’empêche d’aller bosser. Ca m’était déjà arrivé j’avais eu un scanner qui n’avait rien révélé, ma tête est ok. Rien ne me soulage : aspirine, paracétamol, ibuprofène. Ce docteur me prescrit un anti-vomitif et du Dafalgan codéiné. Et enfin je suis soulagée. Enfin, en cas de migraine je peux quand même assurer au boulot, en famille… Car la migraine me bouffe 7 jours par mois, toute l’année, donc ce n’est pas rien… ».
Ou encore de The Chesshirecat : « On est très nombreux à se servir de la codéine comme un anxiolytique au quotidien, un ptit coup de pouce qui nous aide dans notre vie de Mr/Mme tout le monde. Je serais intéressé de savoir combien de codéinomanes étaient consommateurs d’autres drogues en parallèle (en excluant tabac et alcool): à mon avis, il y en a peu (je fais partie des peu >>) » ou encore comme Nathaniel : « Mais si, vous savez, cette béquille qui vous permet de supporter le taf en vous disant » ce soir je prendrais ma petite dose de plaisir, alors relativisons ! ». Cette béquille qui vous permet de vous forcer à faire des choses qui vous dérangent. Cette béquille qui vous permet de vous motiver. Cette béquille qui est toujours là, dans votre sac ou votre tiroir. Cette béquille était devenue le point de repère de ma vie. Quoi que je fasse, quoi qu’il arrive, je savais que j’avais ce tiroir qui m’aiderait en cas de besoin. »
La mise sous ordonnance a bouleversé ces vies. Sur Psychoactif, une plateforme consacrée aux témoignages sur les usages de produits psychoactifs, plus de 3500 posts et témoignages sont arrivés en moins d’un mois. Beaucoup racontent comment leur monde s’écroule. Comme’Anonyme95 : « Salut à tous. Comme toi, La Guêpe, j’ai été contrainte d’arrêter net ma consommation de codé mi juillet. Je tournais à 3 boîtes par jour, rarement moins et parfois plus, depuis 2 ans mais consommation quotidienne depuis 8 à 10 ans. J’ai 42 ans et ce sevrage forcé m’a fait prendre 20 ans. À l’heure actuelle, j’ai encore des douleurs (dos, hanche et jambes). Au départ, j’ai tellement souffert physiquement que je ne pensais à rien d’autre que cette torture associée à une insomnie qui a duré plus de 20 jours : l’enfer. Puis les symptômes se sont amoindris avec le temps et là, le néant, le vide, la quasi absence d’émotion, aucune motivation, aucune envie à l’exception de larver dans mon canapé. Et cette envie de codéine qui ne me quitte que rarement. Je suis sous AD (anti-dépresseurs) depuis 3 semaines, prescrit par le doc du CASPA. Je sais que c’est long mais mon moral est toujours au plus bas »