« Une mise au point utile du fait des nombreuses évolutions (épidémiologie et connaissance des conduites addictives, société, sujets, produits, offre de soins…) synthétisée par des experts européens*, parue dans une revue de référence**, 13 ans après la conférence de consensus de 2004 ».
La prise en charge des patients souffrant d’un trouble de l’usage des opiacés et opioïdes repose sur un traitement par agonistes opioïdergiques intégré aux soins psychologique et social. Cette stratégie a démontré son efficacité au niveau individuel et sociétal en réduisant l’usage d’opiacés et d’opioïdes contribuant ainsi :
– à réduire la mortalité par overdose, les infections par virus VIH et VHC, et la criminalité.
– à restaurer l’autonomie et l’intégration du sujet dans la société, avec une meilleure qualité de vie.
Plusieurs pays ont édité des recommandations récentes pour tenir compte de ces évolutions. En Europe, il existe une hétérogénéité des approches liée notamment à des différences de régulation des médicaments opioïdergiques et d’accès aux soins. Dans un objectif d’harmonisation, un groupe d’experts européens vient de publier des recommandations synthétiques pour le traitement par buprénorphine et méthadone dans le trouble de l’usage des opiacés et opioïdes. Ils se sont appuyés sur les recommandations internationales existantes et à défaut sur leur expérience clinique afin d’aider les cliniciens dans leur pratique.
Le résumé et les points clés de ces premières recommandations européennes :
- Le trouble de l’usage des opiacés et opioïdes (TUO) est une problématique complexe et chronique avec des rechutes. Il est caractérisé par un craving et un usage répété de morphiniques licites ou illicites, avec des conséquences délétères, pouvant nécessiter un traitement au long cours.
- Avant de débuter un traitement, le diagnostic est partagé avec le patient et inclut une évaluation initiale des consommations (morphiniques, alcool, médicaments, etc…), des autres conduites addictives, de l’état de santé du sujet (dont anxiété, autres troubles mentaux, sommeil, douleur…), de sa vie sociale et familiale, de son implication dans des actes de délinquance. La stratégie thérapeutique est partagée et décidée en accord avec le patient.
- Le sevrage morphinique comme seul traitement n’est pas recommandé. Il expose à un risque élevé de rechute et d’overdose mortelle.
- Le traitement par agoniste opioïdergique (buprénorphine, méthadone) est une partie importante de la prise en charge. Il est utilisé de manière intégrée à des soins psychosociaux, incluant différentes approches psychologiques, voire des soins psychiatriques si possible avec une équipe multidisciplinaire.
- L’accès à un traitement pharmacologique de qualité du TUO devrait être une priorité. Le traitement doit être personnalisé : le choix du médicament ainsi que la dose devraient être définis en fonction de l’état clinique du patient, de ses objectifs, besoins et préférences, des caractéristiques du médicament (efficacité, dangerosité, interactions) et de l’évolution sous traitement.
- L’objectif thérapeutique à court terme est d’éviter les overdoses et la mort, de réduire les consommations dangereuses de morphiniques, et les infections par VIH et VHC liées aux injections.
- A moyen et à long terme, les objectifs thérapeutiques visent à améliorer la santé physique et mentale du sujet, son bien-être, sa qualité de vie, en limitant les conséquences sociales et économiques associées à l’usage de produits illicites (ex actes de délinquance). L’abstinence aux morphiniques illicites peut être un objectif thérapeutique. Elle n’est pas toujours réalisable en raison de la complexité de la maladie addictive. Elle n’est pas nécessaire pour certains, et ne doit pas remettre en question l’accès aux soins.
- Au cours de la phase d’induction puis de stabilisation, une adaptation personnalisée de la posologie des agonistes opioïdergiques (titration) est un élément déterminant dans l’efficacité du traitement. Des doses croissantes permettent de contrôler graduellement les signes physiques puis les signes psychiques dont le craving, facteur de poursuite des consommations et de rechutes, et enfin les comorbidités psychiatriques. Le choix de l’agoniste et l’adaptation de la posologie peuvent en effet permettre d’améliorer une pathologie psychiatrique associée et de réduire les consommations d’autres produits.
- La buprénorphine est recommandée comme une option thérapeutique importante en raison de son profil de sécurité (faible risque de surdosage). La buprénorphine / naloxone est recommandée en cas de risque de mésusage ou de détournement.
- La méthadone doit être réservée aux prescripteurs expérimentés pour des patients plus complexes poursuivant l’usage d’opioïdes, souffrant de douleurs, ou nécessitant un effet sédatif anxiolytique dans le cadre d’une pathologie psychiatrique associée, etc… Ce médicament présente un risque important de surdosage mortel.
- Le traitement est aussi long que nécessaire. Son arrêt est possible, après une phase de stabilité médicale, psychologique et sociale. L’arrêt du traitement devrait être conduit de manière progressive et personnalisée, en l’absence d’usages problématiques associés (alcool, autres produits).
- Les populations spécifiques comme les femmes enceintes, les personnes en détention, les sujets avec polyconsommations-polyaddictions, et les patients souffrant de pathologies psychiatriques ou somatiques comme la douleur nécessitent des soins spécifiques avec l’aide d’experts.
Maurice Dematteis, Marc Auriacombe, Oscar D’Agnone, Lorenzo Somaini, Néstor Szerman, Richard Littlewood, Farrukh Alam, Hannu Alho, Amine Benyamina, Julio Bobes, Jean Pierre Daulouède, Claudio Leonardi, Icro Maremmani, Marta Torrens, Stephan Walcher & Michael Soyka*
Paru dans Expert Opinion in pharmacotherapy **