
Alors que l’on pensait le plus souvent que les substances psychoactives modifiaient le fonctionnement cérébral et créaient un Brain Disease Model de l’addiction, cette étude longitudinale ayant suivi des individus depuis l’enfance montrent au contraire que la plupart des anomalies préexistent avant même les premiers usages, et favorisent ces derniers.
En s’appuyant sur les données de l’étude ABCD (Adolescent Brain Cognitive Development), la plus grande étude existant (à ce jour) sur le développement cérébral et comportemental des adolescents, Miller et al ont examiné les associations entre la neuroanatomie et la consommation précoce de substances psychoactives. Ils ont constaté que des particularités dans l’anatomie globale du cerveau à la fin de l’enfance, à la fois dans les zones sous-corticale et corticale, étaient associées à la consommation de substances au début de l’adolescence, ce qui concorde avec les résultats d’autres travaux menés auprès d’adolescents et d’adultes, ainsi qu’avec les modèles de maladie cérébrale de l’addiction. Cependant, leurs résultats suggèrent que bon nombre des différences cérébrales observées ont précédé l’initiation de la consommation de substances et ne sont pas compatibles avec les effets neurotoxiques de l’exposition à des substances. Ces résultats suggèrent plutôt que ces différences cérébrales reflètent un risque de prédisposition à l’initiation à la consommation de substances et qu’il est peut-être nécessaire de réévaluer les hypothèses causales qui sous-tendent les modèles d’addiction et leurs supposées conséquences cérébrales, en particulier le Brain Disease Model.
Les effets neurotoxiques des substances sont au cœur du Brain Disease Model de l’Addiction. On estime souvent dans ce modèle que l’exposition aux substances affecte les régions corticales et sous-corticales en lien avec le système de récompense, ce qui entraîne une désensibilisation de de la réponse à la récompense, une augmentation du stress qui provoque des envies, des émotions négatives lorsque les envies ne sont pas satisfaites et un affaiblissement des capacités de contrôle cognitif qui conduit à des retours répétés à l’usage de substances. De nombreux travaux mettent en évidence des différences au niveau du cerveau et du fonctionnement neurocognitif chez les adolescents et les adultes qui consomment des substances psychoactives. Cependant, la plupart de ces travaux reposent sur des études transversales menées sur des échantillons restreints et des individus fortement consommateurs de substances psychoactives. Ces études ne permettent pas de différencier les conséquences neurotoxiques de l’exposition aux substances des différences cérébrales et neurocognitives préexistantes
L’un des principaux objectifs de l’étude ABCD est de mieux comprendre les fondements neuronaux de la consommation de substances et les effets de cette consommation sur le cerveau en développement des adolescents. S’appuyant sur un nouveau corpus de travaux qui alimentent les modèles développementaux de la consommation de substances et de l’addiction, les recherches utilisant l’ensemble de données de l’ABCD, comme celle de Miller et al1, passe d’une priorité donnée aux effets neurotoxiques des substances sur le cerveau et le fonctionnement connexe à une compréhension plus nuancée, avec probablement des facteurs neurocomportementaux qui précèdent et prédisent l’initiation à la consommation de substances, la consommation nocive et les troubles liés à la consommation de substances.
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