La bouche du canon d’une arme à feu appuyée sur la tempe d’un nouveau né est l’une des premières images qui seront proposées dans ce roman de Roberto Saviano, pour essayer de nous faire comprendre jusqu’où peut aller la cruauté des gamins de la paranza, clan mafieux camorriste, dont il est question ici. Ce récit est la suite d’un premier volet, titré “Piranhas“, paru l’année dernière, et s’inspire de la même histoire vraie, celle d’un chef de paranza, Emanuele Sibillo, appelé « ES17 », qui contrôlait le quartier de la Forcella (la fourche) à Naples, quartier où se situe l’action du roman ici encore. Ce grand ado, mort prématurément en 2015 à l’âge de 19 ans, continue semble-t-il à être vénéré dans le quartier, et sert malheureusement d’exemple aux nouvelles générations de petits camorristes prêts à prendre le relais sans hésitation ni état d’âme… Saviano continue, dans ce deuxième volet du diptyque, à explorer l’univers de ce qu’il appelle les baby-gangs, clans composés de membres souvent mineurs… La réalité de cet univers mafieux s’impose à ces gamins comme un modèle de réussite sociale incontournable tant les alternatives leur semblent inexistantes ou pas assez lucratives à leur goût…
La paranza dont il est question dans cette fiction a été créée par Nicolas Fiorillo, dit “Maharaja“, qui s’est entouré d’une bande de gamins du quartier qu’il connaît depuis toujours. Ils sont une bonne dizaine et prêts à tout pour amasser le maximum d’argent et vivre comme des rois tout en continuant à vivre chez leurs parents ou même à aller à l’école pour s’assurer une couverture. On travaille à faire rentrer des sous, on prend du temps avec sa famille, on se pavane, on sort, on boit du champagne et on sniffe de la coke. Leurs noms sont vite rattrapés par leurs surnoms qui les identifient bien plus vite et leur attribuent un début de reconnaissance dans la paranza. Nous avons par exemple Drago, Lollipop, oiseau mou, jveuxdire, ou drone… Leur business est essentiellement celui de l’extorsion de fond, du racket et du trafic de drogues : cannabis, cocaïne, et héroïne.
Quand le roman commence, Nicolas Fiorillo et son gang sont bien en place dans le quartier et tiennent le marché du deal de drogues sous l’autorité d’un parrain de la camorra, Don Vitto. Les affaires tournent bien, mais Nicolas ne sera apaisé que quand il aura vengé la mort de son frère. Il cherche à le faire en essayant, sans succès, de tuer à la maternité le fils de Dentino, celui qu’il soupçonne justement d’avoir assassiné son frérot… Si une de ses préoccupations est donc de se débarrasser de ce Dentino, une autre est de tenir ses différentes places de deal dans le quartier, places qui souffrent d’une demande si forte d’héroïne que la quantité de produit fourni habituellement par le parrain ne suffit plus. Nicolas doit faire avec des chefs de place qui sont obligés d’aller refaire leurs réserves chez leur ancien fournisseur, une famille concurrente dont le parrain s’appelle Micione. Ce dernier inonde les places de deal de son produit pour déstabiliser les finances de la paranza de Nicolas qui va donc devoir peut-être trouver des arrangements, faire des alliances pour ne pas que les clients aillent voir ailleurs par manque de produit à disposition… Tout ne peut pas se résoudre que par les armes, en mettant par exemple à l’amende les chefs de place, comme le suggère les autres membres de la paranza…
Mais bien entendu, à vouloir être calife à la place du calife, à viser trop haut, à se croire plus grand que l’on est, à susciter les jalousies de part et d’autre, à ne pas respecter les règles du milieu, à afficher une arrogance de « moucherons », on risque de se bruler les ailes, et c’est ce qui attend Maharaja et ses tous jeunes amis, féroces mais souvent naïfs, parfois inconscients des dangers qui guettent, des trahisons possibles, tout occupés à commettre des exactions, et à s’enrichir…
Les aspirations de ces “baby gangsters“ sont assez triviales en fin de compte : la reconnaissance de leurs capacités à faire comme les grands, la prise de pouvoir et l’enrichissement personnel facile. La valeur argent est glorifiée comme jamais et celle d’un homme ne peut être quantifiée qu’à hauteur de ses revenus… Difficile alors, avec cet été d’esprit, d’imaginer poser des limites à des enfants qui ont décidé de ne surtout pas en avoir.
Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #04 de le revue DOPAMINE