Emprunter la route de la cocaïne fabriquée en quantité en Colombie et qui débarque en stock en métropole, c’est suivre la route des hommes et des femmes acteurs et actrices de ce trafic, non pas pour les juger, comme le dit très justement le reporter Martin Weill dans ce reportage diffusé sur TMC, mais pour essayer de comprendre les motivations de chacun et chacune et se rendre compte à coup sûr qu’il s’agit d’une économie de survie, du moins quand on se place à l’échelon des petites mains, celles dont ont tant besoin les chefs de réseaux pour faire fonctionner la grande machine à produire, transporter et distribuer une poudre blanche. Tous ceux que le reporter Martin Weill nous invite à rencontrer semblent entrainés par un courant bien trop fort pour que nager à contre sens soit une partie de plaisir…
Le voyage commence en Colombie dans la vallée du Cauca où les indigènes locaux cultivent sur les hauts plateaux de la cordillère des Andes le cocaïer garni de feuilles vert clair qui contiennent un alcaloïde précieux, la cocaïne. Un certain nombre de laboratoires clandestins ont trouvé leur place au coeur de la forêt. Des manipulations chimiques sur les feuilles permettent d’obtenir ce que l’on appelle la pâte base, première grande étape de la production. Pour celle de transformation de cette pâte base en cocaïne, d’autres laboratoires clandestins prendront le relais. Une dizaine de produits chimiques seront encore nécessaires. 75% de la production traversera les frontières, un quart sera distribué dans le pays… A Cali par exemple, une centaine de gangs se partagent un marché qui fonctionne ici comme partout ailleurs, ou presque. On y retrouve gérants, vendeurs, guetteurs, coupeurs mais aussi des percepteurs qui récoltent la taxe payée pour la protection des dealers. Ici une violence exacerbée est présente à chaque coin de rue, et ne se contente pas de simples menaces. L’impact d’une consommation globalisée de la cocaïne se ressent concrètement dans ces quartiers où les décès s’accumulent sans que qui que ce soit se soit réellement enrichi. Du moins pas autant que si l’on vise plus haut dans l’échelle du trafic… Petit tour ensuite à Buenaventura, sur la côté pacifique, premier port du pays. La cocaïne destinée à l’export partira d’ici pour rejoindre les ports américains, caribéens, français ou d’ailleurs. La police reconnait que la tache est immense et que stopper le trafic est mission impossible. Les forces de l’ordre sont dépassées par des organisations criminelles qui, non seulement ont les moyens financiers pour soudoyer des membres de la police et mettre en place une logistique sophistiquée, mais savent faire preuve d’imagination… Bien entendu, certaines étapes du parcours de cette poudre blanche peuvent être particulièrement stratégiques pour les narcotrafiquants. La Guyane française est une d’entre elle. Ici encore, sur le sol guyanais, la nécessité économique est la motivation première de passeurs, ou mules comme on les appelle, à disposition en nombre pour des chefs de réseaux qui ne sont malheureusement pas en manque de main-d’œuvre prête à embarquer pour Paris-Orly… Arrivée sur le sol de la métropole, la cocaïne est réceptionnée par des réseaux très organisés et sera vendue aux consommateurs français en nombre croissant… Martin Weill partira à la rencontre d’usagers qui nous racontent comment ils en sont venus à consommer ce stimulant… Certains en resteront à une consommation festive plus ou moins à risque, mais d’autres peuvent être touchés par une addiction plus ou moins sévère. Et tous les milieux sont concernés.
A l’heure où l’usage de cocaïne s’est en quelque sorte banalisé, que le produit fait moins peur qu’avant et que les représentations évoluent, le trafic suscite toujours autant de curiosité. Quelques figures comme celle de Pablo Escobar, ressurgissent à l’occasion de diffusions télévisées de séries, et font parfois oublier à tout un chacun que la réalité mortifère de ce produit est à associer bien plus à son trafic illégal, qu’à son usage… En Colombie, des citoyens savent surfer sur la vague du mythe d’une personnalité qui a marqué l’histoire du narcotrafic. Le nouveau maire de Medellin par exemple essaie désormais de changer l’image d’une ville encore sous l’emprise du fantôme d’Escobar…
Le 21ème siècle saura probablement se débarrasser petit à petit de mythes comme celui d’Escobar ou d’El Chapo Guzmann, pour ne citer que les plus emblématiques, mais d’autres maîtres du crime organisé prendront sûrement leur place, et sauront profiter alors de la prohibition et du jeu de l’offre et de la demande de psychotropes pour continuer à exploiter la misère humaine en créant des emplois toujours plus précaires et dangereux, sans que l’état ai la main dessus…
Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #05 de le revue DOPAMINE
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