Ce documentaire du jeune réalisateur Julian Ballester a fait le tour des festivals depuis 2017, et est sorti en France sur grand écran le 27 juin. Il nous raconte un bout de vie de cinq sans-domicile-fixe canadiens, bout de vie dans lequel les psychotropes occupent une place très importante depuis plus ou moins de temps. Le réalisateur suit à tour de rôle Kye, une jeune femme d’une vingtaine d’années qui semble s’injecter de l’héroïne, ou du moins un opiacé, depuis quatre mois ; Tobie, son petit ami, plus discret et plus âgé, injecteur depuis une quinzaine d’années ; le couple Paul et Kim, peut-être la cinquantaine à l’approche, injecteurs de cocaïne semble-t-il ; et enfin Tattoo jeune père de famille seul loin de ses enfants, injecteur d’opiacés.
On l’aura compris, dans le film peu d’informations sont données sur nos cinq protagonistes. De leur parcours de vie pour en arriver là, on ne saura rien. Ils sont là, à ce moment-là devant la caméra, et on ne s’intéresse pudiquement qu’à leurs ressenties, et ce qu’ils vivent dans le moment, rien de plus. Ils sont filmés sans voix off ajoutée, au plus près de leurs pérégrinations, de leurs consommations, et ce sans questionnement inutile.
Ces cinq personnages, bel et bien réels, ont été suivis pendant un an dans les rues de Montréal, et on ne les verra que de nuit, ce qui n’assombrit en rien le portrait qui est dressé d’eux. Kye, Tobie, Paul, Kim et Tattoo se connaissent, se croisent à l’occasion, partagent des moments conviviaux. Ils ne sont pas tristes. Ils galèrent, certes, survivent comme ils peuvent, mais ils sont bien vivants heureusement. Leurs journées semblent calées sur le shoot à venir. Ils font la manche chacun à leur manière pour compter après ça les dollars qui leur permettront d’acheter une demi-dose, une dose, une dose-et-demi, deux doses, qui sait, en tout cas de quoi soulager un manque ou s’évaporer le temps des effets. Toutes les journées se suivent et se ressemblent visiblement. Ils ont accumulé avec le temps des rituels de vie, leur vie, comme le commun des mortels. Même s’ils sont à la marge de la société, ce ne sont pas des marginaux, des extraterrestres, loin de là. Ils se cognent à la réalité de la vie, tous les jours, certes, probablement plus que d’autres, ou plus fort, et ils se font souvent mal, mais leurs aspirations restent celle de tout un chacun : un toit, un travail peut-être, des compagnons, de quoi se sentir bien…
On n’entendra la voix du réalisateur qu’à un seul moment, un moment d’inquiétude quand Tattoo, après s’être injecté un opiacé, pique du nez. Il est bien, juste bien, mais le réalisateur veut s’en assurer… Les injections ne sont pas filmées, même quand un des usagers, Paul en l’occurrence, demande qu’on montre l’état dans lequel sont ses veines du pied. Julian Ballester respecte en quelque sorte l’intimité des usagers en ne montrant pas les bouts de corps sollicités par l’injection. Il ne fait pas, dans le misérabilisme ou le voyeurisme. Il s’intéresse à l’essentiel c’est à dire à la personne, et à ce qu’elle vit.
Même si l’usage permet à chacun et chacune d’atteindre un état de bien être, les motivations exprimées ne sont pas forcément identiques. Kim a par exemple l’impression qu’elle ne profite de son environnement que quand elle est sous effets. Elle ne regarde les étoiles que quand elle a consommé, jamais quand elle est sobre. Kye explique que sa consommation est inhérente au fait qu’elle ne sait pas ou ne sait plus comment gérer sa tristesse. Paul ne peut jouer de la guitare et chanter que quand il est “défoncé“ et a peur, s’il arrêtait la coke, de ne plus pouvoir jouer. Tattoo exprime lui son sentiment de solitude, et ne voit pas l’intérêt de stopper la consommation d’un produit qui est le seul à lui faire oublier « toute cette merde »…
Les échappatoires à cette vie “à la rue“ semblent d’un autre temps, un futur incertain, avec une perspective de sevrage pour certain et pour d’autres une fatalité de la consommation qui durent depuis des années…