Chaque ouverture de salle de consommation à moindre risque, comme on les appelle en France, bouscule les représentations sur les usages de drogues. Et c’est la raison pour laquelle cet ouvrage, écrit sous la direction de Martine Baudin, coordinatrice du lieu de 2003 à 2010, puis directrice de la structure associative “Première ligne“, et publié aux Editions de la Baconnière, ne peut éviter de questionner ces représentations au regard de l’expérience du Quai 9, cette structure d’accueil et d’usage, ou lieu de consommation supervisée, au centre de Genève… Les professionnels du champ des addictions et les groupes d’auto-support ont depuis bien longtemps œuvré, en théorie et en pratique, dans le sens d’une prise en charge plus humaniste, loin de toute stigmatisation engendrée inévitablement par une prohibition qui moralise encore les usages. Les expériences efficaces de réduction des risques montrent que tout le monde peut s’accorder sur les enjeux…
Le traitement humaniste de cette question des usages ne peut donc faire abstraction du droit des usagers qui sont des citoyens à part entière, et non des citoyens en marge ou de seconde zone… Faire avec les usagers, c’est déjà les écouter et surtout les entendre. Christophe, Amine, Chantal, Anne, Christoph, Francisco, Véronique, Bastien, Yopo, Iris, Gilbert, Laura, Frédéric, Mauro Poggia, Pierrette prennent la parole dans cet ouvrage (Ils ne sont pas tous usagers). Ils racontent leur parcours, la place des produits, passée ou présente, ne glorifient pas les satisfactions en taisant les dangers et dommages subis. Ils parlent d’eux-mêmes mais représentent par la même occasion tous ceux qui ont encore ou ont eu affaire avec les produits. Mais bien entendu chaque témoigne est singulier et n’a pas valeur d’universalité. Chaque histoire avec un ou plusieurs produits est unique puisque ce n’est pas ce produit qui fait toute l’expérience on le sait. L’individu dans toutes ses dimensions, et le contexte dans tous ces aspects, ont aussi leur mot à dire… Le Quai 9 est né en tout cas de cette volonté de prendre en compte les usagers présents sur la voie publique, de ne pas les isoler, d’accueillir et d’accompagner ceux qui le souhaitent loin de toute injonction de soin… Un ensemble de photographies et de poèmes de Max Jacot accompagnent et enrichissent cet ouvrage. Ils accordent une place essentielle aux usagers dont l’identité est préservée.
Malheureusement, la vie d’une salle de consommation à moindre risque est loin d’être un long fleuve tranquille, et des tensions peuvent apparaître. Superviser les usages en les rendant sanitairement plus sûrs est indispensable, mais cela ne suffit pas. Il s’agit bien entendu d’agir sur le contexte social et économique de vie. Comme le dit Martine Baudin : «La réduction des risques doit se poursuivre, mais si on s’en tient à cela sans offrir aucune perspective de réinsertion dans la société, même le volet sanitaire finira par perdre de son efficience.». Cette salle, comme toutes les autres sur le territoire suisse ou ailleurs, fait partie intégrante de l’espace urbain et de la société, et ne concerne pas que les usagers. Elle concerne toutes celles et ceux qui cherchent encore ou ont déjà trouvé une place dans la CIté et veulent prendre en charge leur bien être ou celui de leurs concitoyens…