Essai / “Une ville sous emprise“ de Claire Guédon et Nathalie Perrier

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Cette ville dite “sous emprise“, c’est Saint-Ouen en proche banlieue parisienne, une ville d’un peu moins de 50 000 habitants. De l’autre côté du périphérique, on essaie de construire le Grand Paris et les pouvoirs publics aimeraient que des villes limitrophes comme Saint-Ouen soient plus “présentables“, que le trafic disparaisse et qu’on puisse y vivre sereinement. Alors on nous raconte dans cet ouvrage que tout est mis en oeuvre pour essayer de mettre à mal ce trafic, essentiellement de cannabis, qui a élu domicile dans quelques cités et dont les méthodes de fonctionnement, de recrutement et de gestion de la marchandise, du personnel ou des problèmes de concurrence, n’ont rien d’amateur et voit s’enrichir grassement quelques uns sur le dos du plus grand nombre, en l’occurrence les petites mains du trafic qui recueillent tous les jours ou toutes les semaines de quoi se payer, entre autre, une console vidéo ou une belle voiture de location pour le week-end, en espérant voir plus grand un jour peut-être si une place dans le niveau supérieur de la pyramide se libère. Car tout le monde ne s’enrichie pas du trafic de cannabis à la même hauteur. Il y a les grossistes ou semi-grossistes qui gagnent plusieurs milliers ou dizaine de milliers d’euros par mois, et à l’opposé ceux qui n’atteindront jamais le SMIC, c’est-à-dire ceux qui sont au front, se retrouvent en bas des cités et tentent de se faire une place, en rendant de menus services, en surveillant les arrivées de la police, en rabattant ou en charbonnant. Comme pour tout marché de rue, ça fait de l’agitation, du bruit et la population doit faire face ici aux incivilités à tout heure du jour et surtout de la nuit, tout en essayant de s’organiser pour se faire entendre des pouvoirs publics. La violence inhérente au trafic fait bien entendu des morts dans ces rangs, ou plutôt, depuis quelques temps des blessés graves, car un jeune homme en fauteuil roulant marque durablement les esprits, alors qu’un mort passe et est plus vite oublié. Mode opératoire emprunté à la mafia italienne. On en est là malheureusement.

Claire Guédon et Nathalie Perrier, journalistes au Parisien, ont passé plus d’un an à Saint-Ouen, du 30 avril 2015 au 25 juin 2016 et nous livre ici le récit de leur enquête sous forme de chroniques. Au jour le jour, ou presque, elles éclairent la réalité du trafic, en interrogeant les différents protagonistes, à savoir des consommateurs, des guetteurs, des habitants, des élus, des policiers, mais aussi des addictologues, des magistrats et des avocats. Tous ces témoins nous racontent comment le cannabusiness illégal est mis en place, comment il fonctionne sur le terrain, comment il s’accordent ou plutôt ne s’accorde pas, ou mal, avec les habitants et les forces de l’ordre, comment les pouvoirs publics mettent en place des stratégies de lutte contre le trafic en installant et désinstallant des grilles, des murs, des caméras de vidéo surveillance, en organisant des actions coup de point pour arrêter un certain nombre de guetteurs et charbonneurs (vendeurs), ou en mettant à l’amande les consommateurs en espérant ainsi les dissuader de revenir se fournir, bref en se donnant l’illusion que tout est mis en œuvre pour que la situation s’améliore en essayant de démanteler les trafics qui ne font que se déplacer de quelques rues un temps pour réapparaitre par la suite. En étendard de cette guerre menée contre “La Drogue“, la figure du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, en mission de nettoyage à grandes eaux, qui tente de faire bonne figure même si la lutte semble vaine.

Tout cet argent dépensé dans la répression, en pure perte semble-t-il, autorise les deux journalistes à poser encore et toujours la fameuse question de la légalisation contrôlée, question dont la légitimité n’est plus à remettre en cause, mais dont une réponse pragmatique se fait attendre car semble malheureusement difficile à mettre en place dans les esprits les plus haut placés.

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