Dans cet essai publié aux Editions Divergences, Alessandro Stella nous embarque dans un 17ème siècle où l’inquisition sévit et met tout en oeuvre pour justifier une chasse aux sorcières loin d’être symbolique… Le 16 juin 1620, le tribunal du Saint-Office de Mexico promulgue un édit portant sur la prohibition de la consommation du peyotl, ce petit cactus qui poussent dans les régions désertiques. L’interdiction est justifiée par les inquisiteurs pour les vertus soi-disant divinatoires du cactus alors que seul Dieu Tout Puissant est capable de prédire l’avenir. Le démon profite de la naïveté des Indiens et de leur penchant pour l’idolâtrie pour les tromper. Malheureusement pour les inquisiteurs qui avaient placardé cette nouvelle prohibition du peyotl sur les murs de toutes les églises, le Tribunal du Saint-Office de Mexico n’avait pas juridiction sur les Indiens qui dépendaient eux des tribunaux ordinaires de l’église catholique. Ce sont donc d’abord les noirs, les Métis, les Mulâtres et surtout les Mulâtresses qui seront visés. Mais comment empêcher de nombreuses ethnies indiennes de consommer cette “herbe du diable“, un produit connu pour ses propriétés depuis les temps les plus reculés, et inscrit à jamais dans leur culture ?
C’est sur la base d’une pratique de la sorcellerie et donc de l’hérésie, que s’appuya la “Sainte inquisition“ pour inculper les usagers de peyotl ou autres herbes magiques comme l’ololiuqui dont les graines contiennent de l’acide lysergique, la salvia divinorum, les champignons hallucinogènes, ou encore le tabac, mais aussi ce que l’on appelait au XVIIIème siècle la rosita ou santa rosa, dont on peut penser raisonnablement qu’il s’agissait en fait de la marijuana consommée alors soit en infusion avec du peyotl, soit fumée dans un cigare de feuilles de tabac. La substance fut introduite dans la révision de l’édit sur le peyotl en février 1691, et fut donc frappée d’un interdit inquisitoire qui n’empêcha en rien sa large diffusion dans la société…
Concernant l’usage de la coca, le souverain Philippe II d’Espagne autorisa sa production et sa consommation aux Indiens qu’il fallait bien traiter si l’on voulait qu’ils travaillent plus pour la couronne. Par ailleurs, les vertus anorexiques et stimulantes de la substance ne pouvaient qu’être bénéfiques à la quantité de travail effectué. Concernant le pulque, boisson fermentée à base de maguey ou agave, très répandu au Mexique, ou concernant l’opium ou le cannabis en Inde orientale, le sort qui leur était réservé était bien meilleur que celui réservé au Peyolt, pour des raisons de taxation économiquement intéressante, de substitut au vin pour le pulque, ou simplement, concernant l’opium du moins, une utilité en médecine dans le soulagement des douleurs.
Revenir aux premiers temps de la prohibition, en l’occurrence celle du peyotl, c’est comprendre quel fut le fondement des interdits à venir, interdits qui ont souvent eu à voir avec une morale religieuse qui a su s’imposer dans le nouveau monde. Elle tenta de balayer toute forme de rituel ancestral pour gagner un peu plus en contrôle des corps et des âmes de peuples qui n’avaient plus qu’à écouter la bonne parole en provenance du vieux continent et s’exécuter sans broncher… Au final, le combat fut vain, non pas faute de combattant, mais faute d’efficacité et de légitimité. La prohibition du peyotl s’éteignit en même temps que le tribunal du Saint-Office fut supprimé en 1820… L’ironie de l’histoire veut que ce soit d’autres églises que l’église catholique qui s’emparèrent des plantes psychoactives et les associèrent à leur culte : La Native American Church (fondée en 1918) pour le peyotl, ou encore le culte Bwiti pour l’iboga en Afrique équatoriale…