Roman / “La bonne vie“ de Matthieu Mégevand

Ce roman, publié aux Editions Flammarion est une exofiction, c’est à dire qu’il prend pour support le parcours de vie de Roger Gilbert-Lecomte, poète des années vingt décédé du tétanos à l’âge de 36 ans. Si l’auteur suisse considère qu’il a écrit un roman, et non pas un essai ou un biographie, c’est que certains événements ou certains sentiments ont été inventés pour alimenter le récit.

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Ce roman, publié aux Editions Flammarion est une exofiction, c’est à dire qu’il prend pour support le parcours de vie de Roger Gilbert-Lecomte, poète des années vingt décédé du tétanos à l’âge de 36 ans. Si l’auteur suisse considère qu’il a écrit un roman, et non pas un essai ou un biographie, c’est que certains événements ou certains sentiments ont été inventés pour alimenter le récit.

Roger Gilbert-Lecomte est issu de la haute bourgeoisie de Reims mais a toujours critiqué ou même renié un milieu qu’il n’a pas épargné. Lycéen impertinent, il se lie d’amitié avec trois jeunes hommes du même lycée, Roger Vaillant, René Daumal et Robert Meyrat issus du même milieu. Le lien se crée autour d’une petite revue de poésie créée par les deux Roger. Les quatre lycéens font les quatre cent coups, mais sont surtout liés par une passion commune, la littérature et la poésie qu’ils pratiquent assidument. Leur rêve : fuir les conventions et la “médiocrité“ de la vie bourgeoise rémoise et s’installer à Paris dès qu’ils auront passé le bac. Ils s’appellent entre eux “phères“ et non pas “frères“ avec pour seul objectif de faire un pied de nez à l’orthographe française. Et, pour ne surtout pas faire dans la simplicité, ils s’identifient comme “phrères simplistes“ et se donnent des surnoms. Ce sera Rog-Jarl pour Roger Gilbert-Lecomte, Nathaniel pour Roger Vaillant, la Stryge pour René Daumal et Dada pour Robert Meyrat…

Leur soif d’absolu et leur quête de sensations fortes les amènent à expérimenter des psychotropes tel que le tétrachlorure de carbone, composé chimique qui sert d’insecticide, et dont on inhale les vapeurs en appliquant un mouchoir imbibé sur le nez. Les effets psychoactifs décrits par Gilbert-Lecomte oscillent entre volupté, hallucinations et léthargie inévitable si on se laisse aller. On pousse les limites du conscient pour s’aventurer dans des contrées inexplorées. On aimerait que ça dure une éternité. On s’essaie aussi à l’opium. On s’anesthésie pour fuir les réalités matérielles ou du moins les survoler… L’alcool est aussi présent, mais on a largement passé le cap de l’expérimentation pour le consommer à l’excès régulièrement. Toutes ces expériences psychotropes, diverses et variées, compteront sûrement par la suite dans le parcours addictif de l’un d’entre eux, Roger Gilbert-Lecomte.

Le lycée est fini. La vie étudiante attend désormais ces jeunes gens de bonne famille à la Capitale. Roger Gilbert-Lecomte devra attendre un an et la réussite à son examen du baccalauréat pour rejoindre à Paris ses phrères Roger Vailland et René Daumal, Roger Meyrat ayant disparu pour cheminer vers d’autres aventures. De nouveaux membres viennent se greffer aux trois piliers d’un groupe de simplistes qui s’élargit.

En 1928, ils créent une revue “Le grand jeu“ qui se fera remarquer dans le milieu littéraire parisien mais dont uniquement trois numéros verront le jour en trois ans (le 4ème ne sera jamais imprimé). Le travail de réunion, de rédaction et de décision n’est pas facile, d’autant que le fondateur et principal membre de la revue, à savoir Roger Gilbert-Lecomte, s’est enfermé dans une consommation excessive d’alcool, de cocaïne, de morphine, puis d’héroïne, consommation dont il ne souhaite pas vraiment s’extraire. Il ne considère pas ses usages comme problématiques et pense même qu’ils sont inhérents à la vie des hommes et qu’ils les portent. Il vit très chichement des subsides que son père continue à lui verser, mais surtout grâce à tous les emprunts fait à droite à gauche, et des ardoises laissées impayées dans toutes les brasseries de Montparnasse. Son addiction aura raison de la revue. Ses compagnons de route s’éloignent de lui. Roger Gilbert-Lecomte perd pieds, va trop loin dans ses excès pour que le groupe suive.

Une dernière injection d’héroïne, avec une seringue usagée, le contaminera. Le tétanos l’emporte le 31 décembre 1943, mais la revue laissera une trace dans l’histoire de la poésie. Le roman se termine sur une parole du poète : « Toute chute ne coïncide pas avec un échec. On ne monte pas amoureux. On tombe ».