Quand on traite du trafic de drogues au Mexique, difficile d’échapper jusque-là au fameux Joaquin “El chapo“ Guzman car il a su faire parler de lui pendant une vingtaine d’années avant d’être extradé, jugé et condamné aux Etats-Unis, le pays où ses affaires ont été les plus florissantes. Mais quand certains des narcotrafiquants se font de la publicité, et s’exposent bien trop pour être honnêtes, d’autres savent rester discrets et prospérer dans l’ombre de leur porte-étendard, pour attendre patiemment leur tour. C’est le cas d’Ismael “El Mayo“ Zambada sur lequel cet épisode d’une série consacrée aux hommes les plus recherchés de la planète, s’est penché. L’homme est à ce jour encore dans le viseur des autorités sans qu’elles aient pu mettre la main dessus. Cinq millions de dollars, c’est sa mise à prix, même si la donne a changé depuis quelques mois, nous y reviendrons… El Mayo est le patron du cartel du Sinaloa et, par la même occasion, l’une des figures incontournables du trafic de drogue international. Son fonds de commerce comprend, entre autres, le trafic de cocaïne, de marijuana, de méthamphétamine, mais aussi d’héroïne et d’opioïdes comme le fentanyl qui fait des ravages aux Etats-Unis dans une crise sans précédent…
Traquer un big boss du trafic n’a rien d’une sinécure et peut prendre des années. Le documentaire tente ici de retracer le parcours de l’enquête concernant El Mayo, en interrogeant les différents acteurs de cette traque, vaine en l’occurrence, mais persistante, par défaut, car quand on est agent de la DEA, quoi de plus valorisant que de mettre la main sur un chef de cartel, même si l’on sait qu’une nouvelle tête se substituera à l’ancienne, bref… Parmi les personnes interrogées : des ex-membres de la brigade des stups américaine ou des unités antidrogue de la police fédérale mexicaine, un journaliste spécialiste du narcotrafic, l’avocat d’El Chapo, et un sicario membre du cartel de Sinaloa…
El Mayo est sûrement bien plus malin qu’un autre. S’il a un ordre à donner, ce n’est sûrement pas au téléphone, mais toujours de visu, car gare aux écoutes. L’intermédiaire derrière lequel El Mayo s’est toujours caché, c’est El Chapo dont les enregistrements sonores ne sont pas rares, et sont surtout compromettants… “El Senior Grande“ est le nom donné par les sicarios du cartel au véritable donneur d’ordre, à savoir El Mayo, dont on ne doit surtout pas révéler le nom et la localisation. Le système de surveillance est assez sophistiqué et bénéficie surtout d’une main-d’œuvre considérable. Rien n’est laissé au hasard avec El Mayo, un homme discret mais qui sait mettre la communauté mexicaine de son côté, en la soignant comme il faut. En témoignent les dons effectués à la population au temps de la COVID. L’intérêt étant d’acheter sa popularité, le silence et la vigilance de cette population face aux forces de l’ordre… Alors, bien entendu, quand un homme prend autant de précautions à ne surtout pas être repéré, la DEA se rabat sur les membres de son organisation et ses proches, en espérant qu’ils seront plus laxistes et donc plus accessibles…
Ce sera le cas par exemple de Reynaldo Zambada, le frère d’El Mayo. En 2008, il sera arrêté, en même temps que le chef corrompu de la police locale qui travaillait en fait pour Zambada. Mais il ne parlera pas… Cinq mois plus tard, El Mayo et El Chapo tentent tout de même de trouver un accord avec la DEA. C’est Vicente, le fils d’El Mayo qui est en charge de la négociation. L’idée est d’échanger la tranquillité présente et à venir du narcobusiness contre les noms des ennemies du cartel du Sinaloa. Accord conclu avec la DEA avant que, de retour chez lui, “El Vicentillo“ qui aurait dû succéder à son père, soit arrêté par la police mexicaine, et extradé vers les Etats-Unis… Les conditions de détention extrêmes et la pression mise, mois après mois, sur le détenu pour obtenir des informations sur son père et son organisation, le feront finalement craquer. Un appel téléphonique sera organisé, via des intermédiaires, pour que le contact se fasse avec El Mayo. Il donne alors à son fils l’autorisation de parler pour sauver sa peau. Mais c’est Joaquin El Chapo Guzman qui en fera les frais, et ce pour son manque criant de discrétion, ce qui embarrassait El Mayo qui ne voyait pas cette mise en lumière comme une bonne chose pour les affaires… La suite, on la connaît. El Chapo est arrêté, extradé et condamné à la perpétuité en 2019, alors qu’Ismael “El Mayo“ Zambada Garcia court toujours. Le cartel du Sinaloa sévit encore. Les fils d’El Chapo ont repris en main le business sous la protection toujours discrète de “El Senior Grande“ qui tient plus que jamais les rênes du trafic. Il doit désormais faire face à la concurrence d’autres cartels, concurrence qui encourage chaque année un peu plus une violence devenue systémique…
Mais le nouveau président Mexicain, fraîchement élu, Andrés Manuel Lopez Obrador, en signe d’apaisement avec le cartel de Sinaloa, a donné l’ordre de faire libérer le fils d’El Chapo qui venait d’être fait prisonnier. L’arrestation d’El Mayo Zambada n’est plus une priorité pour un gouvernement et des forces de police mexicaines qui veulent mettre fin à la guerre… Mais attention, cette guerre des gouvernants contre le trafic n’est pas la seule en cours. Il faut aussi faire avec celle que se livrent les cartels entre eux pour gagner des parts de marché dans un secteur où la clandestinité est un facteur aggravant de la criminalité, on le sait bien…
Thibault de Vivies
(Cet article sera publié dans le numéro 17 de la revue DOPAMINE)