Addictions et migrations : une vision syndémique scientifique à mille lieues des discours populistes

Revue narrative internationale basée sur l’approche syndémique et publiée dans la revue Current Addiction Reports

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Depuis toujours, de nombreuses personnes sont contraintes à l’exode, par des conflits politiques, des violations des droits de l’Homme, des persécutions, des catastrophes écologiques ou encore des crises économiques. De leur départ jusqu’à une arrivée incertaine, ces populations déplacées de force subissent ou assistent à des violences physiques et psychologiques. Certains de ces événements vécus sont associés à des facteurs de risque connus des troubles de l’usage de substances (TUS) comme le stress, les troubles psychiques (réactionnels à la perte de repères et l’acculturation), les traumatismes ou encore l’isolement.

Il existe peu de données épidémiologiques internationales récentes faisant le lien entre TUS et migrations contraintes, principalement parce que la méthodologie de recueil de ces données se concentre sur des pays aux revenus faibles ou intermédiaires, sur les facteurs protecteurs et les facteurs de vulnérabilité des TUS et ne prend pas en compte l’hétérogénéité de la prévalence des troubles.

Cette revue narrative opte pour une approche « syndémique » qui favorise une vision à différentes échelles des facteurs de risque. L’objectif est de permettre de décloisonner les problématiques afin de mieux envisager la synergie de leurs interactions et améliorer la prise en compte des individus dans leur unicité culturelle, sanitaire, sociale et environnementale. Les facteurs de risque des TUS chez les populations contraintes au déplacement sont réparties, selon les connaissances actuelles, en quatre catégories: traumatismes et violences, pertes et instabilités, transit et réinstallations, acculturation.

Traumatismes et violences

Les traumatismes et violences contraignent les peuples à quitter leurs pays mais sont également subis et observés durant les différentes phases des migrations et de transit. Violences sexuelles, mutilations, conditions inhumaines de détention, atteintes aux droits humains, torture… sont autant de facteurs générateurs de traumatismes et de pathologies psychiatriques réactionnelles comme la dépression, le trouble anxieux généralisé ou le trouble de stress post-traumatique, favorisant eux-mêmes l’apparition de TUS. Une relation étroite entre le trafic de drogues illicites prévalent dans certains pays et les flux migratoires contraints a été mise en évidence dans la littérature. La fragilité des populations contraintes au déplacement engendrée par le stress, la perte de repères et la stigmatisation facilite alors la coercition par les narcotrafiquants. La vulnérabilité des femmes apparait particulièrement préoccupante dans ces circonstances notamment en raison des séquelles psychologiques, physiques et reproductives laissées par les violences subies et exacerbées par le manque de soins, les maladies infectieuses et le stress.

Pertes et instabilités

Les déplacements forcés condamnent les populations à abandonner leur logement, leurs biens, leur famille, leur culture et tous leurs moyens de subsistance. Il apparait alors une perte de la capacité de projection dans l’avenir avec l’instabilité de leur situation. Les personnes déplacées sont en difficulté pour assurer leur protection et celle de de leur entourage. Ces pertes sont souvent minimisées et les conséquences psychiques et physiques, pourtant majeures, se trouvent négligées. Les déplacements forcés affectent la résilience d’une communauté et la culture de l’apathie peut alors rapidement devenir la règle et la valeur prépondérante, majorée par le rejet, la marginalisation et la stigmatisation. Les réseaux de trafics de substances et d’êtres humains s’organisent pour assurer une pseudo sécurité des populations. De plus, les difficultés d’accès aux soins et aux droits sociaux dans certains pays favorisent les consommations de drogues ou d’alcool, souvent par besoin d’autorégulation de symptômes psychiatriques ou physiques.

Transit et réinstallations

L’absence de domicile et d’accès au droit commun représente un facteur de vulnérabilité. Les phases de transit rendent le traitement des TUS difficiles. Il a été observé que le statut juridique flou de certains immigrés, qui peuvent parfois se retrouver apatrides, et pour qui l’accès aux moyens de santé proposés reste compliqué, augmente le risque d’achat de substances psychoactives. La stigmatisation et la discrimination subies entrainent chez certains réfugiés une peur de la dénonciation entravant ainsi l’accès aux soins et aux traitements. La marginalisation et le racisme subi sont des facteurs de stress importants qui majorent les troubles psychiques. Les installations dans les quartiers urbains pauvres et défavorisées facilitent l’accès et l’usage d’alcool et de substances illicites.

Acculturation

Le manque de repères culturels et l’obligation d’adaptation à de nouvelles normes socio-culturelles jouent un rôle déterminant dans l’apparition des TUS. Lors de déplacements forcés, la consommation de substances psychoactives qu’elles soient légales ou non peut être un facteur protecteur comme un facteur de vulnérabilité et ce en fonction de la culture du pays d’origine mais aussi de celle du pays d’accueil: c’est ce que l’on appelle le « paradoxe de l’immigré ». Aux États-Unis par exemple, il a été noté que les premières vagues d’immigration ont été moins exposées à la consommation de substances comme les drogues ou l’alcool que les secondes vagues, qui elles étaient nées dans le pays. Ailleurs, des migrants ont déclaré consommer de l’alcool pour faire face aux traumatismes vécus alors qu’ils n’en consommaient pas dans leurs pays d’origine. La consommation de substances psychoactives peut être envisagée par les personnes immigrées comme un moyen d’intégration à la norme du pays. Les modifications des normes culturelles favorisent également l’apparition de TUS.

En conclusion, malgré la difficulté d’envisager le rapport complexe entre facteurs de risque de TUS et migrations forcées, la théorie syndémique permet de prendre en compte les convergences existantes en évitant une vision cloisonnée des problématiques, et en considérant les personnes dans leurs globalité.

Cette revue propose des axes de travail et un programme de recherche pour améliorer les connaissances et prises en charge actuelles. Favoriser les actions interdisciplinaires et améliorer les programmes et politiques de recherche en matière de TUS dans les populations concernées semble nécessaire, porter une attention particulière aux enfants aussi.

par Marine GARNIER et Michaël BISCH

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