ALCOOL / 30 jours de diazépam au lieu de 10 pour le sevrage encadré d’alcool : une étude pilote pour (re)questionner les vieux schémas.

Il existe aujourd’hui un consensus dans le milieu addictologique pour considérer que les benzodiazépines de longue durée d’action, en particulier le diazépam, sont le ‘Gold Standard’ pour le sevrage encadré d’alcool. La plupart des guidelines internationales recommandent une utilisation du diazépam sur une durée de 7 à 15 jours environ

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Il existe aujourd’hui un consensus dans le milieu addictologique pour considérer que les benzodiazépines de longue durée d’action, en particulier le diazépam, sont le ‘Gold Standard’ pour le sevrage encadré d’alcool. La plupart des guidelines internationales recommandent une utilisation du diazépam sur une durée de 7 à 15 jours environ. C’est le cas par exemple des guidelines françaises.  Oui mais pourquoi une telle durée ? Pourquoi pas 20 jours, ou bien 30 jours, ou même encore 100 jours ?

Lorsque l’on interroge les vénérables de la profession, ils expliquent que la durée maximale de 15 jours est issue d’un compromis avec ceux qui s’inquiétaient qu’une prescription de benzodiazépines trop durable ne puisse aboutir à des cas de dépendance iatrogène. 15 jours semblait donc un juste milieu entre la nécessité de couvrir un risque de symptômes de sevrage d’alcool parfois tardifs, et d’un autre côté limiter le risque addictologique propre au diazépam.

Un certain nombre de constatations viennent toutefois remettre en question la pertinence de ce compromis. Tout d’abord, la présence de symptômes anxieux post-sevrage a été mise en évidence dans de nombreuses études. Par ailleurs, on sait qu’environ 50% des reprises précoces d’alcool ont lieu dans le mois qui suit le sevrage. Enfin, les addictologues savent d’expérience que le risque d’une prescription de novo et bien encadrée de benzodiazépines a un risque extrêmement minime d’aboutir à une dépendance si la prescription est limitée à quelques semaines. Tous ces arguments ont été détaillés point-par-point dans une précédente publication. Ils rejoignent des hypothèses anciennes qui faisaient état de syndromes de sevrage « subaigus » ou bien d’anxiété en lien avec des manifestations tardives de sevrage.

Dans une étude dont les résultats viennent d’être publiés dans un article récent du Journal of Clinical Psychopharmacology, nous avons réalisé un essai clinique pilote randomisé et en ouvert sur 26 patients, qui comparait 10 versus 30 jours de traitement par diazépam dans le cadre d’un sevrage d’alcool médicalisé protocolisé. Nous avons évalué au cours des 3 mois qui suivaient le sevrage les taux cumulés de reprise d’alcool et reprise de fortes consommations d’alcool, le niveau de craving, le niveau d’anxiété, et les taux de CDT, ainsi que la risque de survenue d’une dépendance aux benzodiazépines en se basant sur le report des patients et  le pourcentage de toxiques urinaires positifs aux benzodiazépines à 3 mois (les patients étant censés arrêter le diazépam au plus tard le 30e jour).

Au final, en analyse en intention de traiter, nous n’avons pas constaté de différence significative sur le taux de reprise d’usage d’alcool à 3 mois . En revanche, le taux de reprise de fortes consommations (au moins un épisode de 5 US  ou plus) à 3 mois était de 42 % dans le bras 30j contre 93 % dans le bras 10j (p=0.009).

Au cours du suivi, les fréquences des jours avec usage d’alcool et des jours avec fortes consommations étaient également plus faibles dans le bras 30j par rapport au bras 10j (P= 0.049 et P= 0.004, respectivement). Ces différences étaient corroborées par des différences significatives similaires dans les taux de CDT (P=0.003).

Le taux moyen de craving et d’anxiété  au cours des 3 mois suivant le début du sevrage étaient nettement plus faibles dans le bras 30j (p=0.007 et p<0.03 respectivement). Aucun patient dans les 2 groupes n’avait pas rapporté de survenue de dépendance de benzodiazépine au cours de l’étude, et le taux de patients positifs aux benzodiazépines à 3 mois était supérieur dans le groupe 10j (33,3%) comparé au groupe 30j (12,5%), ce qui ne va pas dans le sens d’un risque accru de dépendance à 3 mois pour le protocole dégressif de 30 jours utilisé (posologie quotidienne de diazépam : 40mg/J jusqu’à J16 puis diminution de 5mg/J tous les deux jours).

Nous espérons pouvoir tester notre hypothèse dans une étude de plus large échelle, en double aveugle, et si possible dans le cadre d’une étude française ou européenne.

Merci à Olivier Cottencin car l’étude s’est déroulée dans son service au CHRU de Lille. Merci également à François Paille pour son incomparable culture bibliographique et ses conseils et réflexions.

Par Benjamin Rolland

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