
Le trouble de l’usage de l’alcool est une maladie chronique fréquente, associée à une forte morbi-mortalité. Même après un sevrage, une proportion importante de personnes vivant avec ce trouble connaît une rechute dans les mois qui suivent. Le risque est particulièrement élevé chez les personnes présentant aussi des signes de dépression. Cette comorbidité est très répandue, mais elle reste encore peu prise en compte dans les essais cliniques.
L’étude PAD a exploré une approche innovante : l’administration de psilocybine, encadrée par une psychothérapie adaptée, chez des patients récemment sevrés et présentant en parallèle des signes de dépression. Trente participants ont été inclus au CHU de Nîmes, parmi plus de 350 personnes intéressées par l’étude. Tous présentaient un trouble sévère de l’usage de l’alcool et des signes de dépression deux à huit semaines après le sevrage. Les patients étaient hospitalisés en service de soins médicaux de réadaptation addictologique et bénéficiaient en parallèle d’un programme structuré de prévention de la rechute. Par tirage au sort, vingt participants ont reçu deux séances de psilocybine à 25 mg, à trois semaines d’intervalle, tandis que dix ont reçu une dose très faible (1 mg), utilisée comme placebo actif. L’ensemble des participants, des cliniciens et des évaluateurs étaient maintenus dans l’aveugle quant à l’attribution.
Les résultats observés à 12 semaines indiquent une différence notable entre les groupes. Dans le groupe ayant reçu 25 mg, 55 % des participants étaient abstinents, contre 11 % dans le groupe témoin. La fréquence du craving a également diminué, alors qu’elle augmentait dans le groupe contrôle. Concernant la dépression, environ 45 % des participants exposés à 25 mg ont vu leur score diminuer de plus de 80 %, contre aucun dans le groupe témoin. Ces différences étaient statistiquement significatives, même si la taille réduite de l’échantillon impose une certaine prudence dans l’interprétation.
L’originalité de l’étude tient aussi aux profils de patients inclus. Plus de 70 % des participants ayant reçu 25 mg de psilocybine poursuivaient un traitement antidépresseur au moment de leur inclusion dans l’étude. Les résultats montrent que l’efficacité de la psilocybine ne semblait pas diminuée par la poursuite de ces traitements : les taux d’abstinence et d’amélioration des symptômes dépressifs étaient similaires, qu’un antidépresseur soit maintenu ou non. Cette donnée est importante car, dans la pratique clinique, interrompre un antidépresseur pour participer à une étude clinique représente souvent un frein, et a été montré récemment dans d’autres études comme un possible facteur de non réponse.
L’étude permettait aussi l’inclusion de participants présentant un trouble de stress post-traumatique (PTSD). Environ un quart de la cohorte en était atteint, ce qui reflète la forte prévalence des traumatismes et du trauma complexe dans les populations vivant avec un trouble sévère de l’usage de l’alcool. L’analyse exploratoire a mis en évidence un résultat intéressant : les participants ayant reçu 25 mg de psilocybine qui étaient abstinents à 12 semaines présentaient au départ des scores de PTSD plus élevés que ceux qui avaient rechuté. Cela suggère que l’intervention pourrait être pertinente pour des patients particulièrement marqués des évènements traumatiques, alors que jusqu’à récemment les personnes avec un syndrome de stress post-traumatique n’étaient souvent pas incluses dans les études étudiant la psilocybine notamment dans la dépression.
Du point de vue de la sécurité, les données recueillies sont rassurantes. Aucun événement grave lié au traitement n’a été rapporté. Quelques effets indésirables sont apparus (vertiges, cauchemars, hypoglycémie dans un contexte particulier), mais ils se sont résolus spontanément. L’anxiété transitoire observée pendant certaines séances est restée modérée. Enfin, la forte demande des patients et leur engagement dans le protocole soulignent l’acceptabilité de cette approche.
Au-delà de ces résultats chiffrés, cette étude met en lumière plusieurs points de discussion. Elle montre qu’il est possible d’intégrer une intervention psychédélique dans un service hospitalier français, dans un cadre structuré et sécurisé. Elle illustre aussi l’intérêt de cibler la « pathologie duelle », c’est-à-dire l’association entre addiction et trouble psychiatrique, ici la dépression. Cette orientation est peu fréquente dans les essais, alors qu’elle correspond à la réalité clinique rencontrée dans les services spécialisés. En autorisant la poursuite des antidépresseurs et l’inclusion de patients avec PTSD, le protocole se rapproche de situations concrètes et permet d’envisager des perspectives plus généralisables à la pratique clinique.
Naturellement, il s’agit d’une étude pilote avec un petit effectif et un suivi limité à trois mois. Le maintien de l’aveugle a été partiel, de nombreux participants devinant leur groupe. Ces limites invitent à interpréter les résultats comme des signaux encourageants, mais non définitifs. Ils justifient la mise en place d’essais plus larges et de durée plus longue pour confirmer l’efficacité et préciser les profils de patients les plus susceptibles de bénéficier de cette intervention.
En résumé, l’étude PAD suggère que la psilocybine, associée à un accompagnement psychothérapeutique, pourrait constituer une option à explorer dans la prévention des rechutes chez des patients vivant avec un trouble sévère de l’usage de l’alcool et des signes de dépression, y compris dans des situations complexes comme la poursuite d’un traitement antidépresseur ou la présence de symptômes post-traumatiques. Ces premiers résultats contribuent à élargir le champ des possibles dans un domaine où les besoins thérapeutiques restent très importants.
En savoir plus : https://doi.org/10.1111/add.70152