« Quand j’étais au lycée, j’ai consommé abusivement de l’alcool et j’ai compris que cela me créait trop de déboires. Donc j’ai arrêté. Quand j’ai décidé d’arrêter, je me suis mariée et mon mari a bu, de plus en plus », raconte Isabelle. Le sport lui a permis de décrocher avec son addiction. Mais quand son conjoint est tombé dedans de plus en plus profondément, elle n’a pas compris. « Je me suis dit : puisque moi, j’ai réussi à arrêter, pourquoi pas lui ? Il ne s’est jamais considéré comme dépendant. Je cherchais plutôt à tout contrôler : le temps qu’il lui fallait pour rentrer du travail, pour être sûr qu’il ne s’arrête pas au bistrot, où il allait pendant le week-end, pour être sûr qu’il n’aille pas chez quelqu’un qui le ferait trop boire. » Une situation qui nuit à leur relation. « J’étais devenu insupportable, reconnait-elle, parce que je le surveillais tout le temps, je voulais tout contrôler. Dans ma famille, tous les membres en ont été affectés. On s’est tous sentis trahis par le mensonge et mal aimés. Les dernières années, les conséquences de la consommation ont été un accident de voiture et un surendettement. Je me suis sentie impuissante face à ce désastre. J’ai décidé de partir et j’ai divorcé. »
La consommation de tabac et d’alcool, qui peuvent entraîner une dépendance et une addiction, est assez banalisée, parce que ce sont des produits en vente libre, même si elle est encadrée. Les drogues font partie d’une autre catégorie, la société a un regard beaucoup plus critique sur les consommateurs. Pour toutes ces substances, « les études épidémiologiques tendent à nous montrer que la précocité de la consommation tend à développer effectivement une dépendance » précise Nicolas Palierne, docteur en sociologie spécialisé en pratiques sociales d’alcoolisation. À quoi répond la consommation d’une substance qui rend addict ? « Quand je consomme, qu’est-ce que je recherche ? Quel impact ça sur ma vie ? Souvent, on peut être amené à se poser des questions quand déjà la vie autour vient nous interpeller sur notre état de consommation » estime Joëlle Chabauty, thérapeute praticienne en addictologie. Se poser ce genre de question, c’est faire face à la réalité, or bien souvent en cas d’addiction, le déni touche la personne consommatrice, mais aussi parfois l’entourage.
« Les liens familiaux vont être soumis dans certains cas à rude épreuve«
« Nous prenons en charge les jeunes adolescents et pré-adolescents qui sont dans les débuts des consommations, des expérimentations, voire plus, dans des conduites qui seraient à risque. On rencontre des jeunes qui consomment principalement du tabac, du cannabis, de l’alcool et à la marge d’autres produits » détaille Christophe Quintin, infirmier au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie de la Vienne (CSAPA). La plupart des consultations sont à l’initiative de l’entourage, parents, médecins, institutions scolaires ou l’institution judiciaire. « Les liens familiaux vont être soumis dans certains cas à rude épreuve. Il y a plusieurs profils : les jeunes qui sont en conflit direct et en opposition, ceux qui peuvent être en rupture de liens avec les parents d’autres jeunes qui peuvent aller voir leur parent et leur dire : voilà, j’ai un souci, je m’en sors pas. » Le CSAPA est un lieu d’écoute et d’évaluation de la situation pour orienter ensuite vers des professionnels compétents.
Nathalie est en colère face à l’assouplissement de la loi Evin de 1991 qui interdisait la publicité pour les boissons alcoolisées. En 2015, la majorité des députés a cédé à la pression des alcooliers. « C’est quelque chose qui m’horrifie, parce que moi, je me mets à la place de quelqu’un qui a un problème d’alcool, une addiction… » Nicolas Palier constate aussi l’effet dramatique de ce détricotage de la loi. « On n’échappe pas à l’alcool. L’alcool est partout présent et effectivement cet affichage-là lui rappelle constamment qu’il ne peut pas échapper à la présence de ce produit qui est quasi omniprésent dans notre société. »